Numéro |
Biologie Aujourd’hui
Volume 213, Numéro 3-4, 2019
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Page(s) | 141 - 145 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2019013 | |
Publié en ligne | 12 décembre 2019 |
Article
Circuits neuronaux et neuromédiateurs impliqués dans les effets des drogues psychoactives – État de l’art avec un focus sur la cocaïne
Neural circuits and neurotransmitters involved in the effects of psychoactive drugs – State of the art with a focus on cocaine
CNRS ERL3649, Inserm U1124, Université Paris Descartes, Pharmacologie et thérapie des addictions,
45 rue des Saints-Pères,
75006
Paris, France
* Auteur correspondant : florence.noble@parisdescartes.fr
Reçu :
17
Avril
2019
L’addiction est une maladie chronique qui engendre de lourdes conséquences, à la fois en termes de santé publique et au niveau économique. Des caractéristiques claires distinguent bien l’usage récréatif et contrôlé, de l’addiction. Ainsi, aujourd’hui, l’addiction inclut les notions de recherche compulsive de la drogue, associées à une perte de contrôle sur sa prise, favorisant l’émergence d’un désir persistant et irrépressible pour la drogue (appelé craving). À l’arrêt de la consommation, des symptômes de sevrage peuvent émerger : un état émotionnel négatif, des troubles cognitifs et des symptômes physiques avec certains produits (alcool et opiacés, par exemple). Les épisodes de rechute peuvent survenir au cours de cette période de sevrage pour contrer les effets négatifs du sevrage. De tels épisodes peuvent aussi être observés après de longues périodes d’abstinence. Ils peuvent être précipités par une réexposition au contexte dans lequel les prises de drogues s’effectuaient, ou encore par un stress. Quel que soit le stade auquel on se place (e.g., mise en place de l’addiction, ou rechute), des changements dans les fonctions et la structure du cerveau peuvent être observés. Certaines structures cérébrales sont donc modifiées, comme le cortex préfrontal, où plusieurs neuroadaptations ont été mises en évidence. Certaines de ces modifications sont revisitées dans cet article.
Abstract
Addiction is a chronic disease that has serious consequences, both in terms of public health and economy. Clear characteristics distinguish recreational and controlled use from addiction. Thus, today, addiction includes the notions of compulsive drug use, associated with a loss of control over consumption, leading to craving. When consumption is stopped, withdrawal symptoms may emerge: a negative emotional state, cognitive problems and physical symptoms with some products (alcohol and opiates, for example). Relapse episodes may occur during this withdrawal period, countering the negative effects of withdrawal. Relapse episodes can also be observed after long periods of abstinence. They can be precipitated by re-exposure to the context in which the drugs were taken, or by stress. Regardless of the stage of addiction (e.g., development of the addictive behavior, or relapse) changes in brain function and structure can be observed. Some brain structures are therefore modified, such as the prefrontal cortex, where several neuroadaptations have been identified. Some of these changes are described in this paper.
Mots clés : cocaïne / cortex préfrontal / addiction / neuroadaptation / glutamate
Key words: cocaine / prefrontal cortex / addiction / neuroadaptation / glutamate
© Société de Biologie, 2019
Il est maintenant parfaitement établi que l’addiction est une pathologie du système nerveux central chronique et récidivante. Ce sont essentiellement des chercheurs cliniciens américains qui sont à l’origine de cette définition, mais celle-ci a été très rapidement reprise par l’ensemble de la communauté scientifique, aussi bien chercheurs que cliniciens, en France et dans bien d’autres pays.
Comment définir l’addiction ?
Elle se caractérise par un comportement compulsif et la poursuite de la consommation malgré les conséquences négatives. Une des caractéristiques de l’addiction est le besoin irrépressible de consommer le produit, que l’on appelle le craving. Une autre caractéristique de l’addiction est le très fort taux de rechute, qui reste le problème majeur de la prise en charge des consommateurs de drogues. Toutes ces caractéristiques sont dues à des changements morphologiques et fonctionnels dans le cerveau.
Ces modifications peuvent être observables grâce à l’imagerie cérébrale. L’imagerie fonctionnelle permet de mettre en évidence de nombreuses différences dans le fonctionnement du cerveau entre des personnes dépendantes aux drogues et des contrôles (volontaires sains). Par exemple si on montre des images rappelant la consommation d’alcool à des patients alcoolo-dépendants, certaines structures cérébrales s’activent fortement, comme le cortex cingulaire, le cortex préfrontal et le putamen. Lorsque les mêmes images sont présentées à des témoins, aucune de ces structures ne s’active (Grüsser et al., 2004).
Les avancées de la recherche clinique et préclinique ont permis de mieux comprendre le fonctionnement d’un cerveau dépendant, et de caractériser différents réseaux neuronaux d’intérêts dans les addictions. Pour entreprendre une action dirigée vers un but désiré, plusieurs circuits vont être activés. Tout d’abord la motivation pour l’objet désiré (implication de l’aire tegmentale ventrale), liée à la valeur de récompense (rôle du noyau accumbens), elle-même fonction du souvenir que l’utilisation antérieure de l’objet désiré a laissé (hippocampe). Mais c’est une autre structure cérébrale, le cortex, qui va évaluer, en fonction du contexte et du désir anticipé et mémorisé, s’il convient d’agir ou de différer l’action, de consommer la drogue, ou de s’abstenir. Chez les sujets non dépendants, il y a un équilibre entre ces quatre circuits, récompense, motivation, mémoire et contrôle, permettant l’émergence d’un comportement adapté à une situation donnée. Par contre chez une personne dépendante, les trois circuits récompense, motivation et mémoire deviennent prédominants, et le contrôle cortical quasi inexistant. Tous les signaux qu’envoie le cerveau correspondent à un besoin perçu comme une nécessité absolue, quasi vitale d’obtenir l’objet désiré, la personne exprime alors un besoin irrépressible. C’est le cycle de l’addiction.
Le cortex préfrontal (CPF)
Les neurones présents dans le CPF sont essentiellement des neurones pyramidaux glutamatergiques (glutamate, neurotransmetteur excitateur) et des interneurones GABA (GABA, neurotransmetteur inhibiteur), qui forment un réseau complexe. Le CPF est formé de différentes couches où l’on trouve des connexions entre les neurones glutamatergiques et GABAergiques. Le CPF est interconnecté avec d’autres structures cérébrales, il envoie des projections glutamatergiques vers différentes structures (efférences), y compris le noyau accumbens et l’aire tegmentale ventrale. Le cortex préfrontal reçoit également des informations d’autres structures (afférences) : de l’aire tegmentale ventrale (neurones dopaminergiques), du noyau du raphé (neurones sérotoninergiques) et du locus cœruleus (neurones noradrénergiques). L’ensemble de ces afférences permet de garder un équilibre fonctionnel au niveau du CPF, en activant et inhibant les neurones GABA et glutamate de façon concertée, maintenant ainsi un équilibre. La balance excitation/inhibition est essentielle pour maintenir une activité normale du cortex cérébral. Ce sont les déséquilibres de cette balance qui sont à l’origine des pathologies liées au dysfonctionnement du CPF (mais pas uniquement bien sûr), comme certaines maladies psychiatriques (schizophrénie, autisme, anxiété ou encore les addictions).
L’initiation de la consommation d’un produit ayant des propriétés addictives se fait dans la très grande majorité des cas à travers des usages festifs et récréatifs, et la majorité des individus garderont une consommation contrôlée. Mais tous les individus ne sont pas égaux vis-à-vis du risque du passage d’une consommation récréative à une consommation abusive, puis à une véritable addiction. Parmi les usagers réguliers d’alcool, de tabac ou encore de cocaïne, seule une minorité – de 10 % à 30 % selon la substance – passera de la consommation régulière à une véritable addiction, avec perte de contrôle de la consommation, et une consommation compulsive malgré les conséquences négatives. Ces personnes peuvent devenir abstinentes, mais plus de 80 % rechuteront, ce qui est un problème de santé publique majeur. Il est donc essentiel de mieux comprendre les changements induits par les drogues au niveau cérébral. Pour cela, il est nécessaire d’avoir recours à des modèles expérimentaux. Néanmoins, il est clair que les addictions sont multifactorielles et qu’il n’existe pas de modèles expérimentaux parfaits répliquant point par point cette pathologie, rendant la recherche translationnelle dans ce domaine difficile. Quoi qu’il en soit, les progrès dans de nombreux domaines, neuro-imagerie, biologie moléculaire, modèles animaux, ont permis ces dernières années de mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques et neurochimiques des addictions.
Développement de modèles animaux pertinents pour l’étude des addictions et du craving
Pour étudier et mieux comprendre l’étiologie et les mécanismes sous-tendant des pathologies complexes et multifactorielles telle l’addiction, le recours aux modèles animaux intégrés est nécessaire, les modèles alternatifs actuels (in silico, in vitro, cellulaire ou moléculaire) étant insuffisants. Malheureusement, ces modèles animaux ne peuvent rendre compte que de certains aspects de l’addiction et peuvent être considérés en ce sens comme réductionnistes. Néanmoins, malgré leurs limites, ces modèles n’ont eu de cesse d’être raffinés au fur et à mesure que notre définition et nos conceptions mêmes de l’addiction ont évolué.
Afin de modéliser le passage à un usage compulsif de drogues, un modèle animal a été développé et validé (Ahmed & Koob, 1998 ; Lenoir & Ahmed, 2007). Ce modèle permet d’induire chez l’animal deux modes de consommation de drogue en modifiant la durée journalière d’accès à la drogue : l’un excessif et compulsif s’approchant des modes de consommation des individus ayant développé une addiction, l’autre contrôlé et limité modélisant le simple usage de drogue. Les rats sont répartis en deux groupes et placés dans des cages d’auto-administration dans lesquelles se trouvent deux leviers. Seul un des leviers, que nous appellerons levier actif, délivre la drogue. Le premier groupe, appelé ShA pour Short Access, a un accès quotidien restreint de 1 h à l’auto-administration intraveineuse de drogue, sa consommation est alors stable et modérée dans le temps. En revanche, l’allongement de la durée d’accès quotidien à 6 h chez les rats du deuxième groupe, appelé LgA pour Long Access, conduit à une augmentation rapide de la consommation de drogue qui devient excessive au cours du temps. Les rats LgA présentent également d’autres critères caractéristiques de l’addiction que l’on ne retrouve pas chez les rats ShA (Vanderschuren & Ahmed, 2013). On observe notamment chez les rats LgA une augmentation de la motivation pour la drogue lorsqu’on augmente progressivement le coût comportemental de la drogue en incrémentant le nombre de réponses requises pour l’obtenir (progressive ratio) (Paterson & Markou, 2003). De plus, les rats LgA ont plus de difficulté à s’abstenir de rechercher la drogue lorsque celle-ci n’est plus disponible, on parle alors de résistance à l’extinction. Ces rats présentent également un désintérêt progressif pour les récompenses alternatives, comme la nourriture, au profit de l’auto-administration de drogue (Paterson & Markou, 2003). Enfin, les rats LgA persistent à prendre de la drogue même si celle-ci est associée à un stimulus négatif, tels des chocs électriques (Vanderschuren & Ahmed, 2013).
La rechute est le problème central dans la prise en charge du patient. Les événements stressants (Sinha et al., 2011), les stimuli précédemment associés de manière répétée à la consommation de drogue (O’Brien, 2005) (e.g., un lieu, accessoires, moment de la journée…) ainsi que la réexposition à la drogue elle-même (Jaffe et al., 1989) peuvent induire un besoin irrépressible d’absorber la substance chez le consommateur (ou craving, nouveau critère diagnostique de l’addiction depuis 2013), ce qui pourra aboutir éventuellement à la rechute. Différents modèles précliniques de la rechute chez le rat ont permis une évaluation des différentes composantes de la rechute chez l’homme (Marchant et al., 2013). Parmi tous les modèles de rechute disponibles, un modèle de mesure du craving a été développé chez le rat (Grimm et al., 2001). Dans ce paradigme, la recherche de drogue induite par les stimuli précédemment associés à la consommation est évaluée à l’aide d’un simple test d’extinction effectué après un certain nombre de jours de sevrage à la drogue. Dans chaque test d’extinction, les rats sont réexposés aux stimuli contextuels et discrets précédemment associés à la consommation d’héroïne sans aucune disponibilité de la drogue. Il a été observé une intensification de la recherche de drogue induite par ces stimuli au cours du temps après sevrage à la drogue, un résultat qui a été reproduit avec de très nombreuses drogues d’abus incluant l’héroïne (Pickens et al., 2011). Ce phénomène, appelé incubation du craving à la drogue, pourrait expliquer pourquoi les individus sont encore vulnérables à la rechute après de très longues périodes d’abstinence. Cette intensification de la recherche de drogue après abstinence, modélisée par une augmentation des appuis sur le levier précédemment associé à l’obtention de drogue, peut être considérée comme un index de mesure du craving (Reichel & Bevins, 2009). Ce modèle a pour avantage de permettre d’évaluer la vulnérabilité des rats à la rechute à long terme en évitant toute réexposition à la drogue.
Modifications neurobiologiques dans le CPF après exposition répétée à la cocaïne
Augmentation des épines dendritiques
Les neurones pyramidaux glutamatergiques du CPF sont des neurones épineux. Une épine dendritique est une excroissance de la membrane des dendrites des neurones. Les épines dendritiques reçoivent les contacts synaptiques des axones des neurones présynaptiques. Les épines dendritiques subissent en réalité d’une part des changements de leur forme et d’autre part un turn-over permanent (elles apparaissent et disparaissent). Des altérations de la morphologie et/ou de la dynamique des épines dendritiques sont fréquemment associées à des pathologies touchant le cerveau, notamment les maladies neurodégénératives, et également des maladies psychiatriques. Une corrélation positive a été mise en évidence entre score obtenu en préférence de place conditionnée avec la cocaïne et formation d’épines dendritiques dans le cortex préfrontal chez la souris.
Dans les études de préférence de place conditionnée, un environnement distinctif est relié de façon répétitive à l’administration d’une substance et un autre environnement est relié avec l’absence de prise du produit. Traditionnellement, l’appareil consiste en une boîte rectangulaire composée de trois compartiments différents. Les deux compartiments des extrémités diffèrent par des signaux visuels (parois claires ou sombres, rayées ou non), des signaux tactiles (texture du sol : doux ou rugueux) et parfois des signaux olfactifs (odeur du bois ou de l’acide acétique). Le compartiment central est neutre. Le test se décompose en trois phases. Lors de la première phase, le pré-test, l’animal circule librement dans les trois compartiments. Dans la deuxième phase, l’étape de conditionnement, les compartiments sont fermés et l’animal reçoit alternativement une substance (drogue par exemple) dans un compartiment et le sérum physiologique dans l’autre pendant six ou huit jours généralement. Puis, les animaux retrouvent un libre accès aux trois compartiments (phase du test). Le paramètre usuel de mesure retenu est l’augmentation de temps passé dans le compartiment associé à la drogue, mesurée le jour du test par rapport au jour du pré-test. S’il passe plus de temps dans le compartiment où il a reçu une substance, c’est que celle-ci possède les caractéristiques d’une substance à risque de dépendance.
Muñoz-Cuevas et al. ont mis en évidence une augmentation des épines après un conditionnement à la cocaïne, et plus le nombre d’épines était augmenté, plus le temps passé dans le compartiment associé à l’injection de drogue était important (Muñoz-Cuevas et al., 2013).
Modifications des récepteurs AMPA au glutamate
Les épines sont le lieu de connexions entre les neurones et sur ces épines se trouvent les récepteurs des neurotransmetteurs qui seront libérés par les neurones présynaptiques. Il y a en particulier des récepteurs au glutamate. Une autre modification observée après un traitement chronique à la cocaïne est une modification dans la composition des sous-unités qui constituent le récepteur au glutamate, le récepteur AMPA. Ce récepteur est un hétérotétramère. Chez un animal naïf, l’activation du récepteur AMPA par le glutamate laisse entrer dans le neurone postsynaptique du sodium, mais après traitement chronique avec la cocaïne, il y a un changement dans la composition des sous-unités et le canal devient alors également perméable au calcium. L’entrée massive de calcium dans le neurone va entraîner une cascade de réactions intracellulaires. En effet, l’ion calcium est un messager intracellulaire qui active un grand nombre d’enzymes en modifiant leur conformation. C’est le cas de la calmoduline qui devient active lorsque quatre ions calcium s’y fixent. Elle devient alors la Ca2+-calmoduline, capable d’activer à son tour d’autres enzymes comme l’adénylate cyclase et la protéine kinase II calmoduline-dépendante (CaM kinase II). Ces enzymes vont à leur tour modifier la conformation spatiale d’autres molécules, le plus souvent en les phosphorylant. Ainsi, l’adénylate cyclase activée fabrique de l’adénosine mono-phophate cyclique (ou AMPc) qui catalyse à son tour l’activité d’une autre protéine, la protéine kinase A (ou PKA). On est donc en présence d’une cascade typique de réactions biochimiques dont les effets peuvent être multiples et qui contribuent à l’établissement d’une potentialisation à long terme ou LTP (pour Long-Term Potentiation) un phénomène essentiel aux mécanismes d’apprentissage. Parallèlement, une étude a montré qu’après acquisition d’un comportement d’auto-administration de cocaïne suivi d’un protocole d’incubation du craving, on observe une augmentation de la concentration extracellulaire de glutamate (Shin et al., 2016).
Globalement, on se retrouve donc avec un accroissement de la densité des épines, une augmentation de la fonctionnalité des récepteurs AMPA et une élévation de la concentration de glutamate, en particulier plusieurs jours après l’arrêt du protocole d’auto-administration. L’ensemble de ces adaptations est en accord avec l’augmentation de la LTP enregistrée lors du sevrage à la cocaïne (Lu et al., 2010), qui participe à une hypermnésie du comportement. Cette plasticité dans le CPF est sous le contrôle des récepteurs à la sérotonine de type 5-HT1A et des récepteurs à la dopamine de type D1 (Meunier et al., 2013, 2015).
Rôle des récepteurs adrénergiques du CPF dans un modèle de rechute à la cocaïne chez le rat
Des projections noradrénergiques venant du locus cœruleus, et projetant sur le cortex, il apparaît que la fonction du cortex peut être modulée par l’activation de récepteurs adrénergiques. En effet, dans un modèle d’auto-administration intraveineuse de cocaïne, après acquisition du comportement, extinction, puis un protocole de rechute, il a été montré qu’un antagoniste des récepteurs α1-adrénergiques était capable de bloquer la rechute (Schmidt et al., 2017). Les récepteurs α1-adrénergiques sont présents sur les neurones glutamatergiques, aussi bien pré-synaptiques que post-synaptiques, ces derniers projetant vers le noyau accumbens. L’augmentation de noradrénaline qui suit l’injection de cocaïne va activer ces récepteurs et augmenter l’activité des neurones glutamatergiques, et donc la recherche de drogue. En bloquant les récepteurs α1-adrénergiques, on bloque cette activation, ce qui peut être à l’origine de l’absence de rechute mesurée.
Dans cet article, seuls quelques exemples de neuroadaptations ont été décrits, avec un focus sur le cortex préfrontal. Mais bien d’autres structures cérébrales sont également impliquées dans les mécanismes d’addiction (acquisition, extinction et rechute) (e.g., amygdale, hippocampe, thalamus, hypothalamus), ainsi que de très nombreux neurotransmetteurs (e.g., dopamine, glutamate, CRF, sérotonine). Toutes les neuroadaptations qui peuvent être observées sont dépendantes de plusieurs facteurs, certains très bien connus, comme le genre, des comorbidités, des polyconsommations, mais d’autres facteurs jouent aussi un rôle important, et sont beaucoup moins explorés. Parmi ces facteurs, il y a les pratiques de consommation.
Importance des rituels de consommation dans les neuroadaptations induites par les drogues
Des travaux réalisés en prenant en compte l’heure d’injection de la drogue nous ont permis de démontrer qu’il y avait une mémoire neurochimique. En effet, en réalisant une expérience qui a consisté à injecter de la cocaïne pendant 14 jours à des rats, exactement à la même heure de la journée pendant toute la durée du traitement, puis en mesurant pendant 26 heures l’activité locomotrice des animaux immédiatement après la dernière injection de cocaïne, nous avons mis en évidence une augmentation spontanée de l’activité locomotrice 24 heures après la dernière injection, correspondant donc à l’heure où les animaux avaient l’habitude de recevoir l’injection de cocaïne. Ainsi, les animaux semblent capables d’anticiper l’heure d’injection de la cocaïne et donc l’effet psychoactif attendu de la drogue. À cette augmentation spontanée de l’activité locomotrice, nous avons pu corréler une augmentation significative de libération de dopamine dans le noyau accumbens, exactement à l’heure où les animaux avaient l’habitude de recevoir l’injection de cocaïne. Cette mémoire neurochimique a également été observée avec un traitement à la morphine. Un autre résultat remarquable est que cette mémoire neurochimique perdure dans le temps, puisqu’elle est toujours observée 14 jours après la dernière injection de drogue (Puig et al., 2012 ; Geoffroy et al., 2014).
Pour conclure, les neuroadaptations décrites ci-dessus ne sont bien sûr, pour le moment, décrites que chez le rongeur, et la transposition à l’homme reste à faire. Il apparaît néanmoins que l’addiction est une maladie multifactorielle entraînant de nombreuses neuroadaptations dans différentes structures cérébrales. À l’origine de ces neuroadaptations existent des déséquilibres neurochimiques entre différents neurotransmetteurs, qui ne permettent plus d’avoir un comportement adapté. Cette complexité neurobiologique des addictions fait que la prise en charge thérapeutique des patients est extrêmement complexe.
Remerciements
L’auteur remercie la Société de Biologie de l’avoir invitée à présenter la conférence qui a servi de base à cet article lors de la séance du 16 avril 2019 à Paris, ainsi que le Professeur Michel Hamon pour l’organisation de cette séance « Psychotropes licites et illicites – Des perspectives thérapeutiques ? ».
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Citation de l’article : Noble, F. (2019). Circuits neuronaux et neuromédiateurs impliqués dans les effets des drogues psychoactives – État de l’art avec un focus sur la cocaïne. Biologie Aujourd’hui, 213, 141-145
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