Numéro |
Biologie Aujourd’hui
Volume 216, Numéro 1-2, 2022
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Page(s) | 29 - 35 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2022005 | |
Publié en ligne | 25 juillet 2022 |
Article
Cent ans après la découverte de l’insuline : une nouvelle révolution pour les patients vivant avec un diabète de type 1 ?
One hundred years after the discovery of insulin: a new revolution for patients living with type 1 diabetes?
Université de Franche-Comté, CHU de Besançon, Service d’Endocrinologie-Diabétologie-Nutrition, Hôpital Minjoz, 3 boulevard Fleming, 25030 Besançon Cedex, France
* Auteur correspondant, sophie.borot@univ-fcomte.fr
Reçu :
31
Mars
2022
L’année 2021 a vu célébrer le centenaire de la découverte de l’insuline comme traitement du diabète de type 1, sauvant la vie de personnes condamnées auparavant par la maladie. La substitution insulinique, tellement différente de la sécrétion physiologique, reste cependant un défi. Jusque dans les années 1990, les personnes vivant avec un diabète de type 1 étaient traitées par deux injections d’insuline intermédiaire, d’une durée d’action de 12 à 16 h, et des injections d’insuline rapide humaine, d’une durée d’action de 7 h environ, dont la cinétique entraînait des hypoglycémies fréquentes justifiant des repas pris à heures fixes, une quantité de glucides fixe et des collations obligatoires en évitant les sucres rapides. Le développement des analogues rapides (durée d’action de 4 h) puis lents (sans pic d’action) de l’insuline dans les années 1990 et 2000 et de l’éducation thérapeutique ont permis un allègement de ces contraintes. Ils ont permis aussi l’essor de l’insulinothérapie fonctionnelle, dissociant les repas, gérés par les insulines rapides, de l’insuline lente (c’est-à-dire l’insuline vitale), permettant des repas à horaires variables, à contenus variables et sans restriction d’aliments. Mais la grande révolution vient de ces cinq dernières années, avec l’apparition des capteurs de mesure du glucose en continu, libérant le patient des contrôles glycémiques capillaires, couplés par la suite à une pompe à insuline pilotée par une intelligence artificielle dans les systèmes très récents de boucle fermée hybride. Ces systèmes permettent une amélioration majeure du contrôle de la glycémie, en réduisant à la fois le temps passé en hypoglycémie et la charge mentale de la personne.
Abstract
The year 2021 saw the 100-year celebration of the discovery of insulin as a treatment for type 1 diabetes, saving lives of people previously condemned by the disease. However, insulin replacement, so different from physiological secretion, remains a challenge. Until the 1990s, people living with type 1 diabetes were treated with two injections of intermediate insulin and prandial regular insulin injections. Their kinetics led to frequent hypoglycemia, justifying meals taken at fixed times, with fixed amount of carbohydrates avoiding fast sugars. The development of rapid and then long acting insulin analogues in the 1990s and 2000s and the principle of patient empowerment have reduced these constraints by introducing the notion of functional insulin therapy, dissociating meals managed by rapid insulins from basal insulin (= insulin for living). Meals can be taken at variable times, with variable carbohydrate content and without food restrictions. But the revolution started 5 years ago, with the development of continuous glucose monitoring systems, freeing the patient from blood glucose controls, coupled thereafter to an insulin pump driven by artificial intelligence in the very recent hybrid closed-loop systems. These systems showed significant glucose control improvement, together with reduction of both the time spent in hypoglycemia and the mental burden on the individual, pending a cure for the disease for the next century.
Mots clés : diabète de type 1 / boucles fermées hybrides / mesure continue du glucose
Key words: type 1 diabetes / hybrid closed loops / continuous glucose monitoring
© Société de Biologie, 2022
Introduction
« Alors, pour l’alimentation c’ était facile: tout était interdit pratiquement ! Régime sans sucre et pauvre en glucides, mais collations systématiques à 10h et 16h. Plus de sport... plus de licence sportive, personne ne voulait les signer... ». Ce sont les mots prononcés par Jean-Marie, 62 ans, quand on évoque la découverte de son diabète de type 1 en 1974 alors qu’il avait 15 ans. Et lui d’ajouter: « On ne pouvait pas jouer sur notre traitement, les doses d’insuline ètaient fixes et on n’avait pas le droit de réinjecter d’insuline même si on était à plus de 3g/l ». Jean-Marie a connu les seringues en verre, les aiguilles réutilisables à stériliser et le contrôle de la glycosurie dans le « tube à chauffer ».
L’année 2021 a vu célébrer les 100 ans de la découverte de l’insuline comme traitement du diabète de type 1, sauvant la vie de personnes condamnées auparavant par la maladie. Le parcours de Jean-Marie illustre bien les difficultés rencontrées par les patients, passés en un siècle du statut de « condamnés » à celui de « malades chroniques », et comment les évolutions successives ont modifié leur vie avec la maladie. Ces cinq dernières années ont apporté des améliorations majeures dans la prise en charge de ces patients, mais la substitution de la carence insulinique reste un défi tant la physiologie de la sécrétion et de la régulation insuliniques est complexe et précise.
Complexité de la sécrétion et de la régulation insuliniques
Le principal stimulus physiologique de la sécrétion d'insuline est l'augmentation de la concentration de glucose circulant qui se produit dans l'état postprandial. Le glucose est métabolisé pour générer de l'ATP provoquant la fermeture des canaux potassiques ATP-dépendants et donc une dépolarisation de la membrane induisant l’activation des canaux calciques voltage-dépendants dans les cellules des îlots de Langerhans. La forte augmentation des niveaux de calcium intracellulaire qui en résulte active l'exocytose de granules sécrétoires d'insuline déjà localisés à la membrane plasmique. Ce mécanisme est en grande partie responsable de la « première phase » de la sécrétion insulinique (0–10 min), qui se traduit par un pic de sécrétion d'insuline extrêmement rapide et important (>10x) face à l’augmentation du glucose, suivi d'un déclin dans les 10 à 20 minutes. La sécrétion d'insuline va ensuite se poursuivre à un taux plus faible mais soutenu pendant toute la phase post-absorptive d'un repas, qui s'étend sur plusieurs heures, période appelée « deuxième phase », largement pilotée par des mécanismes indépendants des canaux potassiques ATP-dépendants. Alors que la première phase entraîne la libération d'environ 1 % du pool de granules « matures » contenant de l'insuline, la deuxième phase fait appel au recrutement de granules à partir d'un pool de stockage interne à la cellule (Campbell & Newgard, 2021).
Une fois sécrétée, l’insuline est libérée dans la circulation portale et agit dans un premier temps sur le foie avec pour principal effet de bloquer la production hépatique de glucose, laissant moins de 50 % de la sécrétion atteindre la circulation systémique pour agir sur les autres cellules cibles (muscles, et surtout tissu adipeux). Sa demi-vie est courte, estimée à 4 minutes.
De nombreux facteurs influent sur le taux de glucose et par conséquent sur la sécrétion d’insuline, qui va s’adapter rapidement pour maintenir la glycémie dans la zone étroite de normalité. Ainsi, le niveau et la durée de la sécrétion postprandiale dépendront non seulement de la quantité de glucides absorbés mais également de l’index glycémique du repas et de son contenu en lipides et protéines. L’activité physique a l’effet inverse en réduisant les besoins insuliniques, cependant de façon très différente suivant le type d’exercice (endurance/résistance/intermittent), sa durée, son intensité et le niveau d’entraînement de la personne. L’influence hormonale est également forte: les hormones de la contre-régulation (glucagon, cortisol, adrénaline, hormone de croissance), en augmentant la production hépatique de glucose, majorent les besoins en insuline, en particulier après un exercice physique intense, en cas d’agression physique (infection, chirurgie, traumatisme…), voire psychique. Les hormones sexuelles jouent également un rôle: les besoins insuliniques augmentent fortement à la puberté, et des fluctuations sont observées au cours du cycle menstruel.
Il est également important de souligner la forte implication de la régulation paracrine à l’intérieur des îlots pancréatiques entre les cellules alpha sécrétant le glucagon et les cellules bêta libérant l’insuline, ces dernières ayant un effet inhibiteur sur la libération de glucagon, en particulier en phase prandiale alors que les cellules alpha sont capables de stimuler les cellules bêta (Campbell & Newgard, 2021).
Défi de la régulation insulinique chez la personne vivant avec un diabète de type 1
Le diabète de type 1 est défini par une carence insulinique sévère causée par la destruction auto-immune des cellules bêta dans les îlots de Langerhans. Il se caractérise par une hyperglycémie majeure et une cétogenèse potentiellement fatale, liée à l’hypersécrétion de glucagon en l’absence de cellules bêta fonctionnelles, rendant les personnes atteintes dépendantes à vie d’un traitement par insuline.
La substitution insulinique reste cependant très éloignée de la réalité physiologique: elle est administrée en sous-cutané dans la circulation systémique et non portale, avec une demi-vie bien plus longue que 4 minutes. L’adaptation du niveau d’insulinémie à la glycémie n’est réalisée que de façon intermittente, lors des injections et des contrôles glycémiques, là où il serait nécessaire d’avoir une régulation permanente. En l’absence de régulation automatique de la sécrétion par l’ingénierie de la cellule bêta, la modification nécessaire du niveau d’insulinémie incombe au patient, qui doit donc apprendre à évaluer la dose d’insuline à s’injecter en fonction des nombreux paramètres impactant sa glycémie, forcément variables d’un moment à l’autre.
À cela, il faut ajouter la variabilité de l’effet de l’insuline injectée en fonction de la conservation du produit, du site et de la technique d’injection, expliquant le caractère très labile et instable de la glycémie des patients traités pour un diabète de type 1, et l’impossibilité de prédire son évolution même en tenant compte des glucides et de l’activité physique.
Constat actuel sur l’équilibre métabolique des personnes avec un diabète de type 1
Les données très récentes ne sont pas rassurantes quant à l’équilibre métabolique des personnes avec un diabète de type 1. L'étude observationnelle SAGE réalisée dans quatre continents a rapporté une moyenne d’hémoglobine glyquée (HbA1c), paramètre utilisé pour évaluer l'équilibre du diabète sur les 3 derniers mois, à 7,95 % ± 1,42 pour un objectif recommandé à moins de 7 %. Ce chiffre ne descend qu’à 7,70 % ± 1,21 dans les pays d’Europe de l’Ouest, où 12,4 % des patients déclarent avoir fait une hypoglycémie sévère dans les 6 mois qui précèdent et 6,7 % une acidocétose, alors que 88 % étaient suivis par un spécialiste en diabétologie (Renard et al., 2021).
L’effet délétère de l’hyperglycémie chronique sur l’incidence des complications microangiopathiques du diabète (rétinopathie, néphropathie, neuropathie) et l’intérêt d’un bon équilibre métabolique sont connus depuis l’étude DCCT, publiée en 1993 (Diabetes Control, 1993). La probabilité de développer une complication microangiopathique augmente de façon exponentielle avec l’HbA1c (Skyler, 1996), fixant ainsi l’objectif de 7 % comme seuil limite à ne pas dépasser, objectif non atteint chez une majorité de patients si l’on en croit les résultats de l’étude SAGE.
Évolutions du traitement des personnes vivant avec un diabète de type 1
Avant les années 1990
Avant les années 1990, la plupart des patients étaient traités par des doses fixes d’insuline, prescrites par le médecin et déterminées en fonction d’apports alimentaires, également fixes dans leur quantité en glucides (portion constante de féculents et de pain). La sécrétion basale physiologique de l’insuline était remplacée par l’administration d’insulines NPH (Neutral Protamine Hegedom), encore appelées insulines intermédiaires, d’une durée d’action de 14 h environ, réalisée deux fois par jour. La sécrétion prandiale était substituée par une injection d’insuline régulière (dont la célèbre Actrapid) réalisée à dose fixe au moment des trois repas. Le pic d’action des insulines NPH, combiné à l’action prolongée (plus de 5 h) de l’insuline humaine, justifiait la prise des repas à heure fixe et des collations intermédiaires, comme le rapporte Jean-Marie (cf. ci-dessus), afin d’éviter l’hypoglycémie.
Même si l’apparition des glucomètres capillaires, remplaçant la mesure de la glycosurie, et des stylos injecteurs remplaçant les seringues, a permis une amélioration conséquente de l’équilibre du diabète, les contraintes sur la vie restaient importantes: injections à horaires fixes, repas à heures fixes avec collations, hypoglycémies fréquentes en fin de matinée et d’après-midi, nécessité d’une auto-surveillance glycémique au moins 4 fois par jour, activité sportive déconseillée, limitation des glucides, éviction des sucres rapides.
Les années 1990–2000: la généralisation du basal/bolus et l’arrivée des analogues rapides et lents
L’arrivée des analogues rapides de l’insuline dans les années 1990, d’action moins longue que l’insuline régulière et donnant beaucoup moins d’hypoglycémie à distance des repas (Pfützner et al., 1996), a permis de développer le principe thérapeutique du « basal-bolus » qui consiste à dissocier les injections d’insuline lente « pour vivre », de celles des insulines rapides « pour manger ». Cette notion est devenue plus évidente encore avec l’arrivée des analogues lents dans les années 2000 (Ratner et al., 2000), dotés d’un profil beaucoup plus plat et moins pourvoyeurs d’hypoglycémies, permettant ainsi au patient de rester à jeun sans problème malgré l’injection d’insuline lente et de garder une glycémie parfaitement stable sous réserve que la dose soit bien réglée. L’horaire des repas devient alors modulable d’un jour à l’autre, de même que la quantité de glucides. C’est l’essor de « l’insulinothérapie fonctionnelle ». Le patient prend en charge son traitement, apprend à adapter sa dose d’insuline en fonction de la quantité de glucides qu’il ingère, de son activité physique ou d’autres paramètres qu’il juge utiles.
Les années 2000 à 2017: la liberté alimentaire, généralisation des pompes à insuline, mais une charge mentale qui reste importante
Les équipes s’organisent autour de diététiciennes et d’infirmières pour apprendre au patient à évaluer la quantité de glucides de son repas et, en fonction de son ratio Insuline/Glucides (soit la quantité de glucides prise en charge par une unité d’insuline), à déterminer la dose d’insuline qu’il doit s’auto-injecter, lui permettant ainsi de varier cette quantité de glucides et de manger des aliments réputés « interdits » parce que riches en sucres rapides. Les patients peuvent intervenir sur leurs glycémies s’ils les jugent trop élevées afin de corriger eux-mêmes une hyperglycémie, même en dehors des injections prévues. Ce sont les « corrections », dont la dose est définie en fonction du coefficient de sensibilité à l’insuline évalué pour chaque patient aux différents moments de la journée (« 1 U d’insuline me fait baisser de x g/l »).
La généralisation des pompes à insuline, en remplaçant l’insuline lente par un débit basal continu programmable, permet ainsi une adaptation des doses en fonction de la physiologie du patient sur les 24 h (par exemple, plus faibles dans la matinée, plus hautes en fin de nuit et d’après-midi), et en temps réel (réduction ou arrêt du débit pendant l’activité physique par exemple). Elles permettent des corrections plus fréquentes en cas d’hyperglycémie, l’infusion d’une dose supplémentaire se faisant par une simple commande sur la pompe au lieu d’une injection d’insuline. Les « assistants-bolus » des pompes proposent même au patient de calculer sa dose optimale d’insuline en fonction des glucides et de la glycémie capillaire qu’il renseigne au moment de manger, grâce au paramétrage préalable basé sur le ratio insuline/glucide du patient et son coefficient de sensibilité.
2017: La révolution de la mesure continue du glucose et la chute du ‘dogme du DCCT’
En 2017, le système de mesure du glucose « Freestyle Libre » est remboursé par l’Assurance Maladie (Arrêté du 4 mai 2017), une étude ayant démontré sa capacité à réduire de 38 % le temps passé en hypoglycémie (2,02 h/j vs 3,27 h/j) (Bolinder et al., 2016). Ce système est composé d’un capteur de glucose, à changer tous les 14 jours, collé à la peau avec une électrode souple insérée en sous-cutané grâce à un système auto-injecteur, qui mesure le taux de glucose interstitiel toutes les 5 minutes. Le patient utilise le récepteur pour scanner le capteur qui affiche la dernière valeur de glucose, associée à la courbe des huit dernières heures et à une flèche de tendance indiquant le sens actuel de la pente. C’est la fin des contrôles au bout du doigt pour les patients et, très rapidement, près de 70 % des patients avec un diabète de type 1 en sont équipés, y compris les enfants dont les glycémies peuvent être contrôlées la nuit par leurs parents sans les réveiller. Ce premier système est suivi par deux autres qui proposent un affichage continu des valeurs de glucose sans scanner et même des alarmes en cas d’hyper ou d’hypoglycémies (Arrêtés du 13 février et du 12 juin 2018). La dogmatique relation inverse entre l’HbA1c et la survenue des hypoglycémies, décrite dans l’étude DCCT (Skyler, 1996): « plus l’HbA1c est basse, plus il y a d’hypoglycémies », disparaît pour laisser place à une relation totalement parallèle: « plus le nombre de scans au ‘Freestyle Libre’ augmente, plus l’HbA1c et les hypoglycémies diminuent » (Dunn et al., 2018; Figure 1). Les patients ont enfin le sentiment de prendre le contrôle de leur maladie.
Mais la disponibilité de ces données glycémiques en permanence confronte le patient à sa maladie autant de fois qu’il consulte son capteur. À chaque fois, il doit résoudre le problème posé par les données affichées:
Quelle est la valeur ? La flèche ? La courbe ?
Combien ai-je d’insuline encore active dans mon corps = de quand date mon dernier bolus ?
Que vais-je faire après ? Activité physique ? Quand vais-je manger la prochaine fois ?
Dois-je me corriger car je suis haut ? Ou au contraire manger quelque chose car je suis « limite » ? Ou mettre un débit temporaire dans la pompe ?
Si je décide de modifier mon insuline: de combien ?
Je vais manger: que vais-je manger ? Combien de glucides ? Combien de lipides ? Activité après ? Quelle dose pour cette quantité de glucides ?
Ainsi, tandis que l’équilibre glycémique est considérablement amélioré, la charge mentale de la gestion de la maladie a plutôt tendance à augmenter. De ce fait, de plus en plus de patients, pourtant bien équilibrés d’après leur HbA1c ou leur temps passé dans la cible glycémique 70–180 mg/dl – nouvelle cible thérapeutique à atteindre pour les patients équipés de capteurs – se présentent en consultation avec un épuisement psychologique, le contrôle de leur diabète prenant une place trop importante dans leur vie.
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Figure 1 Risque de rétinopathie et d’hypoglycémies sévères dans l’étude DCCT en fonction du niveau d’HbA1c (Skyler, 1996) (1a): L’obtention d’une HbA1c à moins de 7 % s’accompagne d’une diminution du risque de rétinopathie mais d’une augmentation du risque d’hypoglycémies sévères. (1b): HbA1c estimée d’après la glycémie moyenne et pourcentage de temps passé en hypoglycémie à moins de 70 mg/dl en fonction du nombre de scans réalisés avec le système de mesure continue du glucose (Free Style Libre) dans une étude de vie réelle incluant 50 831 utilisateurs (Dunn et al., 2018). |
2021–2022: l’arrivée des boucles semi-fermées, la VRAIE révolution ?
Très récemment, le développement des boucles semi-fermées a permis une amélioration spectaculaire de l’équilibre du diabète de façon immédiate et constante sur différentes populations: adultes, enfants, adolescents et même femmes enceintes (Tubiana-Rufi et al., 2021). Le principe général est de coupler un capteur de glucose à une pompe pilotée par un algorithme mathématique gérant l’infusion d’insuline en fonction des données du capteur. Il existe plusieurs systèmes fonctionnant avec différents capteurs, pompes et algorithmes, et les résultats sont très concordants. Le temps passé dans la cible 70–180 mg/dl est autour de 70 %, atteignant ainsi le nouvel objectif thérapeutique de plus de 70 % de temps dans la cible, avec une HbA1c en général entre 6,8 et 7,2 % et peu d’hypoglycémies, et cela pour plus de 80 % des patients équipés (Tubiana-Rufi et al., 2021).
Ces boucles sont dites semi-fermées ou hybrides parce qu’elles contraignent le patient à déclarer son repas au système afin que celui-ci puisse envoyer une dose plus importante d’insuline à ce moment-là. Il est nécessaire aussi de déclarer l’activité physique, de préférence très en amont de celle-ci afin que l’algorithme puisse anticiper la diminution des doses en amont de l’activité. En dehors de ces deux situations, le patient agit peu sur son système, en particulier la nuit au cours de laquelle l’algorithme corrige les éventuelles hyperglycémies et stoppe l’injection d’insuline avant une possible hypoglycémie, permettant ainsi une bonne qualité de sommeil et une glycémie parfaite au réveil. Le diabète est encore mieux équilibré, et la charge mentale se réduit considérablement.
Actuellement deux systèmes sont remboursés en France: Diabeloop DBLG1 (Arrêté du 15 septembre 2021) et Medtronic 780G Smartguard (SYSTEME MINIMED 780G). L’année 2022 devrait être une année charnière pour beaucoup de personnes vivant avec un diabète de type 1.
La solution de la greffe d’îlots: prise en charge en 2021
Si malgré toutes ces solutions techniques, la situation reste compliquée, la greffe d’îlots de Langerhans peut être envisagée. Elle consiste à transplanter une préparation d’îlots de Langerhans issue d’un pancréas de donneur en état de mort cérébrale et réalisée dans un laboratoire spécialisé. Cette préparation est perfusée dans la veine porte des patients afin que les îlots soient piégés dans le foie et s’implantent dans les espaces portes pour sécréter de l’insuline de façon régulée physiologiquement par la glycémie. C’est actuellement la seule technique qui permette une « guérison » du diabète de type 1. De fait, les patients transplantés peuvent totalement arrêter les injections d’insuline pendant un certain temps, à condition d’avoir reçu au moins deux infusions d’îlots. L’étude française TRIMECO a randomisé des patients diabétiques de type 1 indiqués pour une greffe d’îlots soit immédiate soit différée de 6 mois, permettant ainsi une comparaison des deux groupes. L’HbA1c est tombée à 5,6 % chez les patients greffés contre 8,2 % dans le groupe contrôle avec une quasi-suppression des hypoglycémies sévères pourtant fréquentes chez ces patients. À un an de la première infusion d’îlots, près de 60 % des patients étaient sans insuline (Lablanche et al., 2018).
Mais cette technique est une allo-transplantation, nécessitant un traitement immunosuppresseur plus important que celui d’une greffe rénale, avec toutes les conséquences reconnues de ces thérapies (infections, cancers, toxicité rénale…). Si l’on veut que le rapport bénéfice-risque reste positif, cette thérapie n’est envisageable que chez les patients présentant une situation très instable avec des hypoglycémies sévères à répétition et une qualité de vie extrêmement altérée malgré les dernières thérapies (en particulier les boucles semi-fermées) ou éventuellement déjà porteurs d’une greffe rénale. Elle n’est donc indiquée que pour un très petit nombre de patients, mais reste pour eux la seule solution envisageable.
Et l’avenir ?
Les solutions technologiques évoluent très rapidement et constituent certainement l’avenir des patients à court terme. Les systèmes se miniaturisent, les algorithmes se perfectionnent. Il sera très certainement probable de passer en boucle complète, sans annonce des repas ou de l’activité physique, d’ici moins de 5 ans. Les patients restent néanmoins équipés physiquement avec un accès cutané très sollicité et avec une maintenance de la bonne fonctionnalité du système à assurer (changements des capteurs, des cathéters et des réservoirs des pompes, batteries, connexion des appareils, étanchéité…).
La solution biologique du remplacement de la cellule bêta prendra plus de temps. Les méthodes d’encapsulation des îlots afin de s’affranchir du traitement immunosuppresseur avancent lentement, de même que les manipulations biologiques visant à réduire leur immunogénicité. La production de cellules bêta à partir de cellules souches n’est encore qu’au stade du laboratoire.
Les essais interventionnels de thérapie immunomodulatrice visant à réduire l’atteinte immunologique dès la découverte du diabète de type 1 pour préserver le petit capital restant sont décevants, avec un effet au mieux suspensif et temporaire. Il faudrait intervenir en amont de la découverte de la maladie, alors qu’elle est encore asymptomatique, posant la difficile question de la détection des potentiels futurs patients et du risque lié à l’administration d’un traitement immunomodulateur sur la seule probabilité de développer une maladie.
Le besoin porte très certainement sur le développement de nouvelles insulines rapides qui auraient un délai d’action plus court et une durée d’action moins prolongée, et dont la libération pourrait, dans l’idéal, être régulée par la glycémie ambiante.
Conclusion
Si la découverte de l'insuline a permis de sauver la vie des personnes atteintes d'un diabète de type 1, elle ne les a pas guéries pour autant, les rendant dépendantes d'un traitement à vie. L'obtention d'un bon équilibre glycémique est compliquée chez les patients diabétiques de type 1, le caractère totalement insulinopénique du diabète et les nombreux facteurs influençant le métabolisme du glucose (alimentation, activité physique, ambiance hormonale…) rendant la glycémie très instable et difficilement contrôlable avec les injections d'insuline et les contrôles glycémiques capillaires. Les analogues rapides puis lents de l'insuline et l'insulinothérapie fonctionnelle ont apporté une certaine liberté alimentaire et une prise de contrôle de la maladie qui restait cependant une contrainte en raison de la nécessité d'intervenir pluri-quotidiennement sur la maladie. Les capteurs de mesure continue du glucose ont supprimé les glycémies capillaires, les pompes à insuline, les injections pluriquotidiennes, mais il persistait une charge mentale importante liée à la gestion de toutes ces données. Les systèmes de boucle semi-fermée, en permettant une régulation automatisée de l'infusion d'insuline en dehors des repas, apportent un répit au patient tout en lui permettant d'obtenir un équilibre glycémique optimum, le mettant ainsi à l'abri des complications au long cours du diabète, sans hypoglycémie. Le hasard a fait que le premier système de boucle semi-fermée remboursé en France le soit 100 ans après la découverte de l’insuline pour traiter les patients atteints d’un diabète de type 1. La révolution engendrée par ces nouveaux systèmes dans la vie des patients est quasiment à la hauteur de celle de 1921, en attendant une possible guérison… avant le siècle prochain ?
Références
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Citation de l’article: Borot, S. (2022). Cent ans après la découverte de l’insuline: une nouvelle révolution pour les patients vivant avec un diabète de type 1 ?. Biologie Aujourd’hui, 216, 29-35
Liste des figures
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Figure 1 Risque de rétinopathie et d’hypoglycémies sévères dans l’étude DCCT en fonction du niveau d’HbA1c (Skyler, 1996) (1a): L’obtention d’une HbA1c à moins de 7 % s’accompagne d’une diminution du risque de rétinopathie mais d’une augmentation du risque d’hypoglycémies sévères. (1b): HbA1c estimée d’après la glycémie moyenne et pourcentage de temps passé en hypoglycémie à moins de 70 mg/dl en fonction du nombre de scans réalisés avec le système de mesure continue du glucose (Free Style Libre) dans une étude de vie réelle incluant 50 831 utilisateurs (Dunn et al., 2018). |
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