Numéro |
Biologie Aujourd'hui
Volume 211, Numéro 4, 2017
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Page(s) | 291 - 292 | |
Section | Analyse de livre | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2018012 | |
Publié en ligne | 29 juin 2018 |
Analyse de livre
Robert Debré, Une vocation française
Par Patrice Debré, Éditions Odile Jacob
Reçu :
3
Mai
2018
Patrice Debré consacre un gros livre à son illustre grand-père Robert Debré, pédiatre mondialement connu, ainsi qu’à sa famille qui compte des personnages de premier plan, dont plusieurs ont exercé des fonctions éminentes. Pour rappel non exhaustif : Michel Debré, son fils, Premier Ministre du Général de Gaulle et plusieurs fois ministre ; Jean-Louis Debré son petit-fils, ministre de l’Intérieur (1995–1997) et Président de l’Assemblée Nationale (2002–2007) ; Bernard Debré, chirurgien urologue et homme politique ; Olivier Debré, peintre.
Et pour mention les cousins Schwartz (Laurent, mathématicien, titulaire de la médaille Fields en 1950, Daniel, médecin, « le père de la biostatistique », Bertrand, polytechnicien, « l’homme qui savait parler aux jeunes », créateur des premières missions d’insertion). Pour se repérer dans les liens familiaux, un tableau généalogique très utile qui figure au début du livre permet d’apprécier pleinement les contributions familiales historiques à l’évolution de la France. Les photos de famille apportent par ailleurs une note concrète et font valoir l’élégante figure de Robert Debré.
Bien que ce livre n’entre pas exactement dans le domaine de Biologie Aujourd’hui, il nous a paru judicieux d’en faire une analyse, l’auteur, immunologiste, qui est un des petits-fils de Robert Debré, étant un membre éminent de la Société de Biologie, qui contribue souvent à nos activités et a notamment participé en 2016 à la Journée Claude Bernard, consacrée au microbiote intestinal (Biologie Aujourd’hui, 2017, 211 (1), pp. 19–28 : « Les défis du microbiote »). Ce livre apporte aussi une contribution à l’intérêt que nous portons toujours aux aspects historiques de la recherche biologique en France comme dans le monde. Nous sommes enfin sensibles au fait que le récit relève à plusieurs reprises la place importante qu’occupe au cours du XXe siècle la Société de Biologie dans la valorisation des résultats scientifiques, (Debré va faire des prélèvements bactériologiques, en compagnie d’un certain Krebs, qu’il juge excellent scientifique et de valeur suffisante pour savoir « communiquer à la Société de Biologie ») (P137) .
Les trois premiers chapitres du présent livre sont consacrés aux racines, à l’enfance et à la jeunesse de Robert Debré ainsi qu’aux relations et amitiés familiales. Une place prééminente est faite à l’identité juive alsacienne, l’arrière-grand-père de Patrice, né en 1854, ayant été rabbin à Sedan. En 1870, la famille choisit la France et s’installe à Paris. Patrice Debré s’attarde ensuite sur l’affaire Dreyfus (1894/1906). Robert Debré et son condisciple et ami Jean-Paul Coulon du lycée Janson de Sailly, tous deux encore lycéens, lors de l’affaire du « petit bleu » mettant en cause Esterhazy, sont à l’origine d’une pétition adressée au Conseil de Guerre. Évidemment, cette missive sera sans effet mais elle en dit long sur le caractère trempé et l’implication dans les affaires de son siècle (qui concernaient au premier chef sa famille) du jeune Robert Debré.
Ensuite, cherchant sa voie dans des études de philosophie, Robert Debré sera un moment compagnon de route de Charles Péguy, à qui il a été présenté par Lucien Herr. Aux Cahiers de la Quinzaine il rencontrera de grands intellectuels, Jacques Maritain, Roger Martin du Gard qui le décrira dans les Thibault… Mais Lorsque Debré décide d’entamer des études de médecine, c’est la rupture avec Péguy. Un peu plus tard il rencontre Jeanne Debat-Ponsan, reçue en même temps que lui à l’internat en 1906. Ils se marient en août 1908. Ce mariage, hors de la communauté juive, irrita fortement son père, rabbin.
Puis c’est la guerre de 14/18, pendant laquelle Robert Debré soigne les blessés dans les tranchées dans des conditions très difficiles, et voit mourir beaucoup de ses proches. À la fin de la guerre, Robert Debré est affecté à l’Université de Strasbourg où il dirige l’Institut d’Hygiène et de Bactériologie et donne un enseignement de bactériologie et d’immunologie.
Au sortir de la guerre de 14, l’auteur nous dépeint son grand-père développant une carrière dans différentes directions : à partir des ravages de la tuberculose, il comprend et développe la nécessité de faire de l’enfant malade la cible d’une médecine spécifique, rompant ainsi le regard porté jusque-là sur cet âge de la vie comme une période inéluctablement condamnée à une mortalité importante. Il y a bien eu quelques grands précurseurs, mais c’est lui qui entame un combat avec l’administration et fait reconnaître cette spécialité et la nécessité de lui dédier des services hospitaliers spécialisés. Au cours des années 1930, la reconnaissance arrive pleinement, il est élu à l’Académie de Médecine, on crée pour lui un service d’enfants et il devient titulaire de la chaire de Bactériologie à la Faculté de Médecine. C’est l’époque où il ressent la nécessité de s’occuper des sciences de base, physique et chimie, mais aussi génétique et embryologie, sans oublier l’immunologie ; il est alors très proche des équipes de l’Institut Pasteur. Par ailleurs Robert Debré reste ouvert sur le monde de la littérature et de la culture et fréquente les intellectuels de l’époque, Paul Valéry, la Princesse Bibesco, l’Abbé Mugnier…
Puis vient la deuxième guerre mondiale. Où l’on voit un épisode étonnant au cours duquel Robert Debré, déchu de ses droits d’exercer par les Nazis en janvier 1941, être réintégré en juillet par une nouvelle loi sur le statut des juifs qui permet des exemptions. Mais évidemment toute la famille s’engage rapidement dans la résistance. Puis c’est la libération et la découverte de l’horreur, Robert Debré étant envoyé en mission à Mauthausen et Buchenwald…
Après la guerre, Robert Debré donne la pleine mesure de sa hauteur de vues et de son engagement, au-delà de la discipline médicale, en faveur de la promotion de structures mondiales en faveur de l’intérêt général. C’est ainsi qu’il œuvre à la naissance de l’Unicef et sera désigné en 1965 comme son représentant pour recevoir Le Prix Nobel de la Paix, décerné à cette Institution. On le voit aussi prendre part aux combats mondiaux en faveur des vaccinations, enfin lancer le modèle de la Réforme Hospitalo-Universitaire associant la clinique et l’enseignement et le plein temps dans les CHU. Réforme dont l’ampleur et la difficulté tenaient à une résistance tenace des générations déjà en place, ainsi qu’à la nécessité de faire travailler ensemble à cette création plusieurs ministères et la sécurité sociale naissante.
Au total, ce livre-monument nous fait traverser non seulement la vie et les accomplissements exceptionnels de Robert Debré, mais aussi la deuxième moitié du XIXe siècle et tout le XXe et leurs soubresauts historiques. Il faut être reconnaissant à Patrice Debré de nous livrer une telle somme, fondée sur une quantité de documents publics et familiaux de première main mais aussi sur les souvenirs et le regard admiratif et affectueux posé par l’auteur sur son grand-père.
© Société de Biologie, 2018
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