Numéro |
Biologie Aujourd’hui
Volume 213, Numéro 1-2, 2019
|
|
---|---|---|
Page(s) | 79 - 80 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2019018 | |
Publié en ligne | 5 juillet 2019 |
Notice Nécrologique
Bernard Kerdelhué
Bernard Kerdelhué nous a quittés le 6 mai dernier. Brutalement pour sa famille, ses amis et ses collègues, mais sereinement. Il faisait partie des pionniers de la neuroendocrinologie. Il avait été formé « à la dure », quand on connaît le laboratoire dans lequel il a débuté sa carrière, celui de Marian Jutisz au Collège de France. Jutisz était d’une extrême rigueur, sérieux, exigeant, ne permettant, comme tous ces grands chercheurs venus d’Europe de l’Est, aucune dérive, aucune fioriture. Bernard a sans doute gardé de cette époque certains traits de son caractère, sérieux, discret, souvent réservé, mais à l’écoute de chacun. Dès la création de son laboratoire CNRS à Gif-sur-Yvette en 1970, Marian Jutisz lui a demandé de se lancer dans la production d’anticorps contre des neuropeptides et des hormones hypophysaires dans le cadre de la neuroendocrinologie de la reproduction. « Jeune chercheur enthousiaste », comme s’en souvient Mme Tixier-Vidal, Bernard et M. Jutisz ont rapidement compris que c’était un sujet porteur, puisqu’en 1977, le Prix Nobel fut décerné à A. Schally, R. Guillemin et R.Yalow, précisément sur les thématiques développées par Bernard. Bernard a ainsi obtenu en 1973 un excellent anticorps contre le GnRH, neuropeptide isolé par A. Schally qui régule les hormones hypophysaires LH et FSH, puis des anticorps contre ces deux hormones. En collaboration avec le groupe de Claude Fromageot et Pierre Marche au CEA, il a pu marquer ce peptide, permettant le développement d’un dosage radioimmunologique très sensible. C’est grâce à Bernard et à cet anticorps que j’ai personnellement débuté avec succès ma carrière scientifique et concrétisé des publications dans d’excellents périodiques scientifiques pour ma thèse.
Bernard a ainsi collaboré avec tous les groupes importants qui formaient non seulement la communauté de neuroendocrinologie en France (A. Tixier-Vidal, C. Bugnon, J.D. Vincent, C. Kordon, Y. Fontaine et S. Dufour, H. Vaudry, Y. Assenmacher, A. Calas…) mais aussi à l’étranger : aux États-Unis avec R.I. Weiner à San Francisco et G.S. Jones à Norfolk, où Bernard a été professeur invité ainsi qu’avec la grande école hongroise de B. Halasz et M. Palkovits à Budapest. Il a publié aussi dans les domaines de la biodiversité et de la reproduction chez différentes espèces. Il a aussi travaillé avec des neurobiologistes comme Michel Jouvet et Michel Hamon, qui était alors chez Jacques Glowinski, avec lequel il publie en 1983 un article dans Brain Research sur les effets de l’œstradiol sur les récepteurs GABA et à la benzodiazépine dans l’hippocampe, puis dans Endocrinology sur les effets des œstrogènes sur les récepteurs à la dompéridone dans l’hypophyse. En 1984, déjà visionnaire il publie avec A. Pradalier, lui aussi décédé en janvier dernier, un article dans Thérapie sur la bêta endorphine et la migraine.
En 1988, Bernard Kerdelué s’installe dans les laboratoires de l’INRA à Jouy-en-Josas pour y développer un groupe de neurobiologie de la reproduction, qui établit le lien avec celui de Nouzilly. Il va s’intéresser aussi à d’autres peptides comme la substance P, la neurokine A, le CGRP, à l’axe corticotrope et naturellement toujours aux effets des œstrogènes. Il est membre nommé de plusieurs comités scientifiques tant au CNRS qu’à l’INSERM.
Dès 1977, il commence à s’intéresser en parallèle à un composé décrit comme inducteur de tumeurs mammaires chez le rat, le diméthylbenzanthracène (DMBA) qui réduit l’activité des récepteurs dopaminergiques D2 et stimule la libération de prolactine hypophysaire par un effet direct œstrogène-like. Il va ensuite beaucoup travailler sur ce composé, dont un article que nous avons écrit ensemble avec C. Pasqualini en 1990 dans J Steroid Biochem. En 2013, il publie avec notre Président Yves Christen, dans le cadre des Colloques de la Fondation IPSEN, un ouvrage sur les perturbateurs endocriniens. Son dernier article en 2016 est justement une revue sur le DMBA comme perturbateur neuroendocrine.
Bien que Bernard ait eu des avis très tranchés sur certaines questions de société et que nous n’étions pas d’accord politiquement ni sur plusieurs de ses idées (il faut dire que je travaillais à cette époque avec D. Philibert, chez Roussel-Uclaf, sur le RU 486, une substance abortive), la recherche et nos liens d’amitié nous permettaient de rester proches. Un point sur lequel nous étions d’accord, la Corse.
Au cours de sa carrière, Bernard a pu recruter trois chercheurs, Catherine Pasqualini, Patrick Nedellec et Stéphane Melik-Parsadaniantz, ainsi qu’une ingénieure d’étude, Véronique Lenoir.
Après l’INRA, Bernard ira s’installer à la Faculté de Pharmacie à Paris en 1992 pour former une équipe CNRS, puis suivre aux Saints-Pères, en tant qu’émérite, Christiane Garbay qui avait quitté le groupe de B. Roques à la Faculté de Pharmacie, et où il va retrouver un ami qu’il avait connu au début de sa carrière, Serge Fermandjian, avec lequel il partageait un bureau, et qui aurait pu rendre, aussi bien que moi, sinon mieux, cet hommage à Bernard. Avec la disparition de Bernard Kerdelhué, la Neuroendocrinologie et la Société de Biologie ont perdu un grand scientifique et un ami.
© Société de Biologie, 2019
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.