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Numéro
Biologie Aujourd’hui
Volume 214, Numéro 3-4, 2020
Page(s) 91 - 95
Section Centenaire de la Société de Biologie de Strasbourg
DOI https://doi.org/10.1051/jbio/2020015
Publié en ligne 24 décembre 2020

© Société de Biologie, 2020

Introduction

Basées sur l’utilisation des capacités des organismes vivants en vue d’une application scientifique et technologique, les biotechnologies représentent un secteur en plein essor, notamment dans le domaine de la santé où elles sont désignées comme « biotechnologies rouges ». Bien que leur histoire soit récente, les biotechnologies pharmaceutiques ont rapidement évolué grâce au développement synergique des connaissances et des technologies articulées autour des génomes. Au-delà des progrès technologiques, ces avancées ont permis une meilleure compréhension des pathologies ainsi qu’une amélioration de leur diagnostic, favorisant considérablement une prise en charge plus personnalisée et plus efficace des patients.

Évolution des connaissances associées aux génomes et développement de technologies à haut débit de plus en plus performantes (Figure 1)

Les connaissances associées aux génomes (eucaryotes, procaryotes, viraux, etc.) se sont accrues au cours des dernières années grâce aux évolutions successives et récentes des technologies de séquençage de l’ADN. Si la première génération de séquençage représentée majoritairement par la synthèse enzymatique sélective de Sanger et al. (1977) a longtemps été utilisée et a notamment permis le décryptage du génome humain au travers de l’Human Genome Project (1990-2003), elle ne permet pas de répondre aux enjeux actuels nécessitant le séquençage de génomes entiers en un temps record. Une deuxième génération de séquenceurs, dont les premiers ont été commercialisés en 2005 (Next Generation Sequencing), permet la lecture massive de millions de séquences courtes en parallèle et donc à haut débit. Parmi ces technologies, on peut citer le séquençage par synthèse développé par la société Illumina ou encore le séquençage par semi-conducteur (Ion Torrent) commercialisé par Thermo Fisher Scientific. Enfin, la troisième génération de séquenceurs développée depuis 2010 permet aujourd’hui de s’affranchir des biais survenant au moment de l’assemblage des séquences en séquençant des molécules longues en temps réel sans amplification préalable de l’ADN. Dans cette catégorie, la technologie utilisant des nanopores protéiques de la société Oxford Nanopore Technologies est un des exemples. À l’heure actuelle, plus de 100 millions de bases peuvent être séquencées en une journée (Ronholm et al., 2016).

En parallèle de ces avancées technologiques, l’étude des génomes bactériens et viraux a permis la découverte d’outils efficaces servant de support au séquençage (ADN polymérases) et ouvrant l’ère du génie génétique. La découverte des ADN polymérases et des plasmides dans les années 1950, ainsi que des enzymes de restriction et des ligases une dizaine d’années plus tard, a rendu possible l’amplification d’une séquence d’intérêt à l’aide de la réaction de polymérisation en chaîne (Polymerase Chain Reaction ou PCR) ainsi que son clonage, ouvrant le champ de la production de protéines recombinantes au cours des années 1980. L’étude des transcrits (ARNm) est devenue possible (clonage de la séquence d’ADN complémentaire ou analyse d’expression par RT-PCR, DNA microarray ou RNA seq) à la suite de la découverte de la transcriptase inverse virale dans les années 1970. L’utilisation de virus comme vecteurs, introduite depuis les années 1970, a quant à elle offert la possibilité des thérapies géniques, aujourd’hui renforcées par les technologies d’édition des génomes basées sur la découverte des nucléases TALENs (2009) et CRISPR/Cas9 (2013) (Dai et al., 2018).

Le recours à ces technologies et outils permet aujourd’hui des travaux basés sur une approche « omique » intégrative (Karczewski & Snyder, 2018) : génomique (identification de variants génétiques tels que des mutations ou des polymorphismes grâce au séquençage et à d’autres techniques ciblées), transcriptomique (expression du génome grâce aux différentes méthodes d’analyse de l’expression des gènes), protéomique (expression et modifications post-traductionnelles des protéines mises en évidence par spectrométrie de masse) et métabolomique (études des métabolites par spectrométrie de masse ou par résonance magnétique nucléaire). Il devient alors possible d’identifier des voies de signalisation à l’origine de processus physiologiques ou pathologiques et de moduler l’expression de gènes (surexpression ou invalidation génique) pour générer des modèles d’études. Il s’agit le plus souvent de modèles animaux mais plusieurs types d’organoïdes ont été proposés récemment comme modèles d’étude de la physiologie des organismes et des conditions pathologiques (Clevers, 2016). Cela permet, à terme, l’identification et la validation de cibles diagnostiques et thérapeutiques dont les applications sont nombreuses.

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Découvertes majeures dans le domaine du séquençage et du génie génétique depuis 1950.

Des applications multiples et complémentaires

Ces évolutions marquent aujourd’hui une orientation vers une démarche thérapeutique plus personnalisée (du diagnostic aux traitements proposés), à travers une médecine dite de précision. Cette dernière a notamment été rendue possible par l’identification de biomarqueurs (génétiques notamment), qu’ils soient indépendants (test de diagnostic ou de suivi) ou associés à un traitement donné (test compagnon identifiant des patients répondeurs, par exemple). L’objectif est de rendre le diagnostic le plus précoce possible, allant jusqu’à la détection de prédispositions, et d’assurer une solution thérapeutique ciblée face aux caractéristiques de la pathologie de chaque patient. Par exemple, chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA 1/2 (Breast Cancer Gene 1 & 2), une mastectomie bilatérale peut être proposée pour réduire le risque d’apparition de cancer du sein. Les cancers BRCA mutés sont déficients dans certains mécanismes de réparation de l’ADN et donc plus sensibles aux inhibiteurs de PARP (Poly-(ADP-Riboses) Polymérases), enzymes impliquées dans ce type de processus. Parallèlement, l’impact de la variabilité génétique (polymorphismes des gènes codant les enzymes du métabolisme notamment) sur la réponse des patients aux traitements a été mis en évidence par la pharmacogénétique, renforçant la stratification des patients du point de vue de la sélection du traitement approprié mais également des doses à administrer (Daly, 2017).

L’orientation vers des traitements plus ciblés a, quant à elle, été initiée par le développement des protéines recombinantes dont le principal objectif est de restaurer des fonctions physiologiques en remplaçant une protéine absente ou altérée (insuline pour le diabète ou facteurs de coagulation pour l’hémophilie, par exemple). Plus récemment, les anticorps monoclonaux sont devenus des traitements phares du fait de leur grande spécificité, leur permettant notamment de bloquer certaines fonctions protéiques. Un exemple typique est le bévacizumab (AVASTIN®) bloquant le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et l’angiogenèse dans le traitement de certains cancers, par exemple. Les anticorps sont également utilisés pour moduler les réponses immunitaires. Ainsi, pour renforcer l’immunité anti-tumorale, des anticorps anti-checkpoints dirigés contre les protéines CTLA4 (Cytotoxic T-Lymphocyte-Associated Protein 4) ou PD1 (Programmed cell Death 1), récepteurs protéiques à la surface des lymphocytes T, sont par exemple utilisés en clinique (Wei et al., 2018).

Malgré des applications encore limitées, la thérapie génique n’en reste pas moins prometteuse en offrant la possibilité de traiter une pathologie en agissant directement au niveau des gènes. En effet, elle consiste en l’introduction de matériel génétique dans des cellules in vivo ou in vitro. Cette technologie a été initialement conçue pour suppléer un gène défectueux en cas de maladie monogénique. C’est le cas de l’alipogène tiparvovec GLYBERA® dans le traitement du déficit familial en lipoprotéine lipase, première thérapie génique approuvée par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) en 2012. Les dernières avancées ont permis de multiplier les stratégies possibles, donnant lieu à de nouvelles indications. On peut citer l’activation de l’expression de gènes comme celui de l’hémoglobine fœtale dans le traitement des bêta-thalassémies, l’inactivation de gènes associés à des pathologies tels que ceux codant pour des oncogènes ou encore l’élimination de cellules pathologiques via l’expression d’un gène suicide.

D’autres thérapies à base d’acides nucléiques se développent également afin de moduler le niveau d’expression génétique en ciblant l’ARN, notamment en entraînant sa dégradation par interférence. C’est le cas du Patisira ONPATTRO®, un ARN interférant, indiqué dans le traitement de l’amylose héréditaire à transthyrétine, approuvée par l’EMA et la FDA (Food and Drug Administration) en 2018. Des oligonucléotides antisens comme l’Eteplirsen EXONDIS 51® sont par ailleurs utilisés pour modifier l’épissage des ARN messagers et ainsi corriger certains défauts à l’origine de cas de myopathie de Duchenne.

Initiée par les greffes de cellules souches hématopoïétiques (greffe de moelle osseuse) dans le traitement de leucémies et de déficits immunitaires, la thérapie cellulaire consiste à greffer des cellules, pluripotentes ou non, modifiées génétiquement ou non, du patient lui-même ou d’un donneur, afin de restaurer définitivement la fonction d’un tissu ou d’un organe défectueux ou pour cibler spécifiquement une tumeur. Un exemple de thérapie cellulaire est le YESCARTA® (axicabtagene ciloleucel) constitué de cellules T autologues génétiquement modifiées exprimant un récepteur chimérique de l’antigène CD19 (cellules CAR-T). Cette approche thérapeutique est indiquée dans le traitement, chez l’adulte, de lymphomes diffus à grandes cellules B et a été approuvée par la FDA aux États-Unis et par l’EMA en Europe en 2017 et 2018, respectivement. Actuellement, de nombreuses études cliniques sont en cours pour obtenir des cellules différenciées et fonctionnelles adaptées à la thérapie cellulaire. En effet ces cellules sont capables de s’autorenouveler indéfiniment et de donner naissance à plusieurs types cellulaires. Ces cellules souches pluripotentes proviennent soit de cellules souches embryonnaires, soit de cellules souches pluripotentes induites (appelées IPS pour Induced Pluripotent Stem cells), prélevées chez des individus adultes et reprogrammées par génie génétique. Différents types cellulaires peuvent être obtenus en utilisant des facteurs protéiques spécifiques. Actuellement, des applications existent dans une maladie rare affectant la peau connue sous le nom epidermolysis bullosa. D’autres essais sont en cours dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Le principe est de développer des cellules de la rétine à partir de cellules souches embryonnaires pour les injecter à des patients de plus de 50 ans souffrant de cette baisse d’acuité visuelle.

L’idéal de la médecine personnalisée, vecteur d’interrogations et de nouveaux défis

Toutes ces applications font aujourd’hui émerger le paradigme d’une médecine personnalisée où les spécificités de chaque individu sont prises en compte afin de recourir à des traitements toujours plus ciblés. Une part conséquente de la recherche internationale s’inscrit ainsi dans cette nouvelle approche, même si cette dernière suscite des questionnements et impose d’ambitieux défis à relever.

Si une véritable révolution s’est opérée en cancérologie en passant du dogme de l’organe à celui de la biologie moléculaire associée aux tumeurs (oncogénomique), améliorant au passage la prise en charge et la survie liées aux cancers, limiter des pathologies complexes à certains marqueurs génétiques et épigénétiques s’avère parfois trop réducteur. Il existe par exemple une hétérogénéité des cellules composant chaque tumeur (sous-populations malignes au profil génétique spécifique, évoluant dans des niches distinctes en interagissant par compétition et mutualisme). Ainsi, définir le profil génétique d’un cancer à partir de l’analyse d’une seule biopsie reviendrait à définir un traitement ciblé qui ne serait efficace que sur une sous-population donnée, favorisant à terme les rechutes. D’autre part, les pathologies chroniques sont quant à elles causées par des voies complexes, multiples, interdépendantes et sous l’influence de l’environnement, rendant là aussi difficile de recourir à des marqueurs génétiques et des traitements ciblés. Enfin, le sexe, l’âge, l’origine ethnique mais aussi le microbiote et les fonctions rénales ou hépatiques sont autant de paramètres individuels qu’il conviendrait de concilier pour personnaliser pleinement les prises en charge.

Bien que ciblées, les nouvelles thérapies ne sont pas moins concernées par la balance bénéfice-risque. Basées sur des applications récentes, la sécurité de leur emploi reste aujourd’hui un défi majeur. Les débuts de la thérapie génique ont par exemple été marqués par des accidents liés à l’utilisation des vecteurs viraux (développement de cancers par suite de l’intégration du gène thérapeutique à proximité d’oncogènes). Les technologies d’édition du génome font quant à elle aujourd’hui face aux risques d’effet « hors cible » ou « off target », autrement dit la modification d’un autre gène que le gène cible. Enfin, les thérapies ciblées, notamment l’immunothérapie, peuvent être à l’origine d’effets secondaires inflammatoires pouvant nécessiter l’interruption du traitement. De nombreux progrès sont donc encore nécessaires pour espérer voir ces traitements se généraliser.

Cependant, des interrogations subsistent également du point de vue économique. En effet, les dernières avancées s’avèrent encore extrêmement coûteuses (près de 350 000 euros par patient traité par les cellules CAR-T) car complexes à mettre au point et à produire. Si ces approches ciblées devraient permettre d’épargner de nombreux surcoûts, notamment liés aux traitements inadaptés mis en échec, il est encore difficile de savoir si le recours à ces traitements est viable économiquement et, par conséquent, s’il est possible d’en assurer l’équité d’accès.

Conclusion

Les biotechnologies pharmaceutiques, en ayant favorisé l’identification et la validation de cibles diagnostiques et thérapeutiques ainsi que le développement de thérapies ciblées, offrent donc la possibilité de personnaliser la prise en charge des patients. Cependant, ce nouveau paradigme fait face à la complexité des pathologies, à la multiplication des paramètres individuels et à la nécessité d’une certaine standardisation inhérente au développement des thérapies et à leur évaluation clinique. Plutôt qu’une approche individualisée, personnalisée, de chaque patient, le meilleur compromis résiderait donc dans le découpage de la population par groupe ou strate suffisamment fine. Dans cette vision, les progrès récents et à venir des biotechnologies pharmaceutiques offrent des perspectives réjouissantes.

Références

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Citation de l’article : Auter, A., Deplace, A., Freytag, D., Kern, M., Plasse, P.-G., Walther, L., et Zimmermann, D. (2020). L’évolution des biotechnologies pharmaceutiques : faire parler le génome pour développer, améliorer et personnaliser les thérapies et la prise en charge des patients. Biologie Aujourd’hui, 214, 91-95

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Découvertes majeures dans le domaine du séquençage et du génie génétique depuis 1950.

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