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Numéro
Biologie Aujourd’hui
Volume 216, Numéro 1-2, 2022
Page(s) 37 - 39
DOI https://doi.org/10.1051/jbio/2022003
Publié en ligne 25 juillet 2022

© Société de Biologie, 2022

Abréviations

AGCC : acides gras à courte chaîne

BPG : by-pass gastrique

G6Pase : glucose-6 phosphatase

IGN : intestinal gluconeogenesis

NGI : néoglucogenèse intestinale

PEG : production endogène de glucose

PEPCK-c : phosphoenolpyruvate carboxykinase-cytosolic form

Introduction

La régulation de la glycémie est une fonction physiologique cruciale pour la survie. Une hypoglycémie profonde peut provoquer la mort en quelques minutes. À l’inverse, l’hyperglycémie prolongée est à l’origine du diabète et de complications graves. C’est la production endogène de glucose (PEG) qui permet le maintien de la glycémie autour de 1 g/L. Une enzyme est essentielle à cette fonction : la glucose-6 phosphatase (G6Pase), qui catalyse l’hydrolyse du glucose-6-phosphate en glucose et permet aux organes qui l’expriment de délivrer du glucose dans la circulation sanguine. Au début des années  1990, il était admis que seul le foie et le rein possédaient cette enzyme. C’est à la fin des années 1990 qu’a été découvert le troisième organe exprimant la G6Pase, l’intestin grêle, aussi bien chez le rat que chez l’homme. L’expression du gène de la G6Pase intestinale est régulée par le jeûne et au cours du diabète expérimental chez le rat et la souris (Mithieux et al., 2004), mais aussi par la qualité de l’alimentation, ce qui lui confère un intérêt particulier dans le contrôle de l’homéostasie énergétique.

Néoglucogenèse intestinale et effet de satiété des protéines alimentaires

Il avait été suggéré que le glucose libéré dans le sang portal pouvait être détecté par le système nerveux et activer un signal régulant la prise alimentaire. Sur cette base, notre hypothèse était que la néoglucogenèse intestinale (NGI), en libérant le glucose dans la veine porte, pouvait contribuer à réguler les sensations de faim et de satiété. C’est en étudiant l’effet de régimes enrichis en protéines que la preuve de ce concept a été apportée. Ces régimes, en effet, activent l’expression des gènes régulateurs de la NGI, la G6Pase et la phosphoenolpyruvate carboxykinase-cytosolic form (PEPCK-c), et induisent, à partir de la glutamine comme substrat majeur, la production de glucose par l’intestin à hauteur de 25 % de la PEG. C’est ainsi qu’ils diminuent la prise alimentaire chez le rat (Mithieux et al., 2005 ; Duraffourd et al., 2012). Cette première série de travaux nous a permis d’expliquer le mécanisme responsable de l’effet de satiété induit par les régimes enrichis en protéines – bien connu chez l’animal et chez l’homme –, mais resté jusqu’alors inexpliqué.

Néoglucogenèse intestinale et bénéfices métaboliques des fibres alimentaires fermentescibles

Nous avons ensuite fait l’hypothèse d’un rôle de la NGI dans les effets métaboliques bénéfiques des fibres alimentaires fermentescibles, démontrés depuis longtemps eux aussi chez l’animal et chez l’homme, mais restés inexpliqués également. Le propionate et le butyrate, les deux acides gras à courte chaîne (AGCC) majeurs produits lors de la fermentation bactérienne des fibres, activent la NGI dans l’intestin distal par des mécanismes complémentaires et synergiques. Le butyrate induit l’expression des gènes de la NGI, via la production d’ATP qu’il promeut en raison de son oxydation intestinale très intense, relayée par la production d’AMP cyclique, lequel est le régulateur majeur de l’expression des gènes de la NGI (De Vadder et al., 2014). Le propionate, quant à lui, active un arc-réflexe nerveux impliquant la libération d’un neuromédiateur intestinal (le peptide vasoactif intestinal) qui active l’expression des gènes de la NGI dans l’intestin aussi bien distal que proximal, via l’AMPc également (De Vadder et al., 2015). De plus, le propionate est incorporé dans le glucose intestinal en tant que substrat de la NGI (De Vadder et al., 2014). Par ailleurs, le succinate active également la NGI en tant que substrat pour la synthèse du glucose dans l’intestin (De Vadder et al., 2016). À travers la production de ces métabolites, les fibres induisent à la fois la modération de la prise de poids sous régime hypercalorique et une bien moindre détérioration du contrôle glycémique (De Vadder et al., 2014, 2016). Cette deuxième série de travaux nous a permis d’élucider les mécanismes sous-tendant les effets anti-obésité et anti-diabète des fibres fermentées par le microbiote intestinal.

Néoglucogenèse intestinale et chirurgie métabolique

À l’aide du premier modèle de by-pass gastrique (BPG) mis au point chez la souris, nous avons montré, en collaboration avec Fabrizio Andreelli, que l’induction de la NGI était impliquée dans l’effet correcteur rapide de cette chirurgie sur la sensation de faim et le contrôle glycémique, ainsi que sur la sensibilité à l’insuline, chez la souris sous alimentation hypercalorique (Troy et al., 2008). Il faut souligner que l’induction de la NGI après BPG, associée à l’amélioration spectaculaire de la sensibilité à l’insuline, a été depuis confirmée par plusieurs études internationales indépendantes non seulement chez l’animal, mais aussi chez l’homme (Soty et al., 2017).

Bénéfices de la néoglucogenèse intestinale (Figure 1)

Nous avons ensuite voulu savoir si l’induction de la NGI, en l’absence de toute manipulation nutritionnelle ou chirurgicale, pouvait produire les mêmes bénéfices métaboliques. Le modèle génétique de souris qui surexprime la G6Pase spécifiquement dans l’intestin (I-G6Paseoverexp) nous a permis de documenter cette question. Alimentée avec un régime hypercalorique, cette souris résiste de façon spectaculaire au développement de l’obésité et de la résistance à l’insuline, en diminuant notamment sa capacité de stockage de lipides dans les tissus adipeux. De plus, alors que le stockage de lipides dans le foie – qui est responsable de la stéatose hépatique – peut générer des complications majeures de l’obésité chez l’homme, la souris I-G6Paseoverexp résiste aussi au développement de la stéatose hépatique (Vily-Petit et al., 2020). Ces données apportent la preuve qu’une simple activation de la G6Pase dans l’intestin est suffisante pour induire la NGI et apporter les bénéfices anti-obésité et anti-diabète majeurs qui y sont associés.

thumbnail Figure 1 Régulation nutritionnelle et principaux effets de la néoglucogenèse intestinale (NGI).

La NGI est activée à hauteur de 20–25 % de la PEG aussi bien après by-pass gastrique qu’après un régime riche en protéines ou en fibres. Le glucose néosynthétisé est détecté par le système nerveux gastrointestinal qui transmet un signal au cerveau (hypothalamus). Les principaux effets en sont la diminution de la sensation de faim, la réduction du stockage des lipides dans les tissus adipeux (effets anti-obésité), la baisse de la production hépatique de glucose et l’amélioration de la sensibilité à l’insuline hépatique (effets anti-diabète).

Conclusion

Ces résultats ont révélé l’importance fonctionnelle de la NGI dans l’homéostasie énergétique et dans son contrôle nerveux. De fait, la NGI exerce un effet préventif ou correcteur (par l’alimentation et/ou la chirurgie) dans des situations d’obésité et/ou d’insulino-résistance installée (Soty et al., 2017). Ceci signifie qu’il n’existe pas de « résistance » aux effets bénéfiques de la NGI dans ces situations. La NGI constituerait ainsi un levier intéressant de prévention et/ou de traitement des désordres métaboliques chez l’homme.

Références

  • De Vadder, F., Kovatcheva-Datchary, P., Goncalves, D., Vinera, J., Zitoun, C., Duchampt, A., Bäckhed, F., Mithieux, G. (2014). Microbiota-generated metabolites promote metabolic benefits via gut-brain neural circuits. Cell , 156, 84-96. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • De Vadder, F., Plessier, F., Gautier-Stein, A., Mithieux, G. (2015). Vasoactive intestinal peptide is a local mediator in a gut-brain neural axis activating intestinal gluconeogenesis. Neurogastroenterol Motil , 27, 443-448. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • De Vadder, F., Kovatcheva-Datchary, P., Zitoun C., Duchampt, A., Bäckhed, F., Mithieux, G. (2016). Microbiota-produced succinate improves glucose homeostasis via intestinal gluconeogenesis. Cell Metab , 24, 151-157. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Duraffourd, C., De Vadder, F., Goncalves, D., Delaere, F., Penhoat, A., Brusset, B., Rajas, F., Chassard, D., Duchampt, A., Stefanutti, A., Gautier-Stein, A., Mithieux, G. (2012). Mu-opioid receptors and dietary protein stimulate a gut-brain neural circuitry limiting food intake. Cell , 150, 377-388. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Mithieux, G., Misery, P., Magnan, C., Pillot, B., Gautier-Stein, A., Bernard, C., Rajas, F., Zitoun, C. (2005). Portal sensing of intestinal gluconeogenesis is a mechanistic link in the diminution of food intake induced by diet protein. Cell Metab , 2, 321-329. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Mithieux, G., Rajas, F., Gautier-Stein, A. (2004). A novel role for glucose-6 phosphatase in the small intestine in the control of glucose homeostasis. J Biol Chem , 279, 44231-44234. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Troy S., Soty, M., Ribeiro, L., Laval, L., Migrenne, S., Fioramonti, X., Pillot, B., Fauveau, V., Aubert, R., Viollet, B., Foretz, M., Leclerc, J., Duchampt, A., Zitoun, C., Thorens, B., Magnan, C., Mithieux, G., Andreelli, F. (2008). Intestinal gluconeogenesis is a key factor for early metabolic changes after gastric bypass but not after gastric lap-band in mice. Cell Metab , 8, 201-211. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Soty, M., Gautier-Stein, A., Rajas, F., Mithieux, G. (2017). Gut-brain glucose signaling in energy homeostasis. Cell Metab , 25, 1231-1242. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Vily-Petit, J., Soty-Roca, M., Silva, M., Raffin, M., Gautier-Stein, A., Rajas, F., Mithieux, G. (2020). Intestinal gluconeogenesis prevents obesity-linked liver steatosis and non-alcoholic fatty liver disease. Gut , 69, 2193-2202. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Citation de l’article : Mithieux, G. (2022). La néoglucogenèse intestinale : une fonction insulinomimétique. Biologie Aujourd’hui, 216, 37-39

Liste des figures

thumbnail Figure 1 Régulation nutritionnelle et principaux effets de la néoglucogenèse intestinale (NGI).

La NGI est activée à hauteur de 20–25 % de la PEG aussi bien après by-pass gastrique qu’après un régime riche en protéines ou en fibres. Le glucose néosynthétisé est détecté par le système nerveux gastrointestinal qui transmet un signal au cerveau (hypothalamus). Les principaux effets en sont la diminution de la sensation de faim, la réduction du stockage des lipides dans les tissus adipeux (effets anti-obésité), la baisse de la production hépatique de glucose et l’amélioration de la sensibilité à l’insuline hépatique (effets anti-diabète).

Dans le texte

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