Numéro |
Biologie Aujourd’hui
Volume 217, Numéro 1-2, 2023
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Page(s) | 39 - 48 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2023016 | |
Publié en ligne | 6 juillet 2023 |
Article
Le Programme 13-Novembre entre mémoire individuelle et mémoire collective
The Programme 13-Novembre between individual memory and collective memory
1
U1077, Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine (NIMH), Inserm, EPHE-PSL, Université de Caen-Normandie, Caen, France
2
Centre Européen de Sociologie et de Science Politique, UMR8209 (CNRS, Université Paris 1, EHESS), Paris, France
* Auteurs correspondants : francis.eustache@unicaen.fr ; denis.peschanski@cnrs.fr
Reçu :
2
Avril
2023
Cet article a pour objectif de présenter l’évolution des travaux scientifiques sur la mémoire humaine de la fin du 19e siècle à aujourd’hui. Les travaux de psychologie expérimentale et de neuropsychologie ont d’abord dominé la scène scientifique. Des recherches en sciences humaines et sociales se sont mises en place dans l’entre-deux-guerres, mais sans réelle interaction avec celles menées en psychologie et en neurosciences. Cette clôture disciplinaire a persisté jusqu’à la fin du 20e siècle. Un véritable tournant social s’est opéré depuis les années 2000 avec comme volonté d’étudier et de comprendre les interactions entre mémoires individuelles et mémoires collectives. Dans cet article, les auteurs plaident pour l’émergence de « sciences de la mémoire » fondées sur la dialectique et la transdisciplinarité. Ils s’appuient sur le Programme 13-Novembre, emblématique de cette évolution. Sa genèse, son architecture d’ensemble et plusieurs de ses composantes sont présentées ici ainsi que quelques résultats déjà publiés. Outre leur portée théorique, ces travaux rendent possibles de nombreuses applications, en particulier dans la compréhension et la prise en charge de différentes pathologies, le trouble de stress post-traumatique étant la plus démonstrative à cet égard.
Abstract
The purpose of this article is to present the evolution of scientific work on human memory from the end of the 19th century. The work of experimental psychology and neuropsychology first dominated the scientific scene. Research in the humanities and social sciences was established in the interwar period, but without any real interaction with psychology and neurosciences. We recall the most emblematic historical works of two distinct visions of memory: those of the experimental psychologist Hermann Ebbinghaus who measured memory, on himself, from lists of meaningless syllables, and those of the sociologist Maurice Halbwachs for whom any act of memory is a social act. This disciplinary closure persisted until the end of the 20th century. A real social shift has taken place since the 2000s, with a desire to studying and understanding the interactions between individual and collective memories. In this article, the authors argue for the emergence of “sciences of memory” based on dialectic and transdisciplinarity. They draw on the Programme 13-Novembre that is emblematic of this evolution. The Programme 13-Novembre has seized upon a diversity of research tools on memory by applying them to a traumatic event in French society: the attacks of 13 November 2015 in Paris and its immediate suburbs. Its genesis, its overall architecture and several of its components are presented here, as well as a few results already published. In addition to its theoretical scope, this work has many possible applications, particularly in the understanding and management of various pathologies, post-traumatic stress disorder being the most demonstrative in this respect.
Mots clés : sciences de la mémoire / mémoire individuelle / mémoire collective / souvenir flash / trouble de stress post-traumatique
Key words: memory sciences / individual memory / collective memory / flashbulb memory / post-traumatic stress disorder
© Société de Biologie, 2023
Abréviations
INA : Institut National de l’Audiovisuel
IRM : Imagerie par résonance magnétique
TSPT : Trouble de stress post-traumatique
Les premières études scientifiques de la mémoire individuelle
Les recherches scientifiques sur la mémoire ont commencé avec éclat dans la deuxième partie du 19e siècle. Le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus y tient une place de choix puisqu’il a été le premier à « mesurer la mémoire », plus précisément à mesurer l’expression (les manifestations dans le comportement) d’une fonction éminemment complexe, alors que ses contemporains s’attachaient à décrire des phénomènes que l’on appellerait aujourd’hui « de bas niveau » (seuils perceptifs…). Pour ce faire, Ebbinghaus apprendra (il est son seul sujet d’expérience) et restituera, dans des conditions expérimentales variées et strictement contrôlées, des listes de syllabes sans signification, sans affect et totalement décontextualisées. Dans ce contexte, l’objet de la mesure porte sur les processus d’encodage, de stockage et de restitution, mais le contenu de la mémoire doit être réduit à son plus « simple appareil » pour ne pas fausser l’étude analytique des mécanismes fonctionnels de la mémoire. Ebbinghaus et, avec lui et après lui, nombre d’auteurs ont parfaitement conscience qu’il s’agit d’une fonction composite qui ne se réduit pas au souvenir conscient d’un matériel dénué de signification et d’affect. Toutefois, c’est le passage obligé, à cette période, pour l’appréhender avec une approche scientifique, certes réductionniste, qui conduit très vite à la maîtrise de diverses méthodes de mesure et à des découvertes majeures, si l’on s’en tient à Ebbinghaus : la description de la courbe de l’oubli, les différents modes d’accès au matériel mémorisé, le rôle du sommeil dans la consolidation des apprentissages (Eustache, 2019 ; Eustache & Desgranges, 2020 ; Eustache & Peschanski, 2022).
Le tournant du 19e siècle et du 20e siècle est un moment fécond dans l’histoire des études sur la mémoire humaine, ce qui a conduit à qualifier cette période d’âge d’or. À Moscou, le neuropsychiatre russe Sergei Korsakoff décrit, avec une grande précision, des patients qui présentent un syndrome amnésique, c’est-à-dire des troubles de la mémoire massifs et relativement isolés, ce qui deviendra le syndrome de Korsakoff. Toutefois, les capacités de mémorisation de ces patients ne sont pas totalement abolies. Ainsi, la visite du médecin dans la chambre du patient modifie le comportement de ce dernier, qui ne « se souvient » pas consciemment l’avoir vu, mais qui laisse apparaître dans son comportement « des traces » de l’avoir déjà rencontré : ne pas lui serrer la main par exemple, puisqu’il l’a fait quelques minutes auparavant, lors de leur première entrevue. Korsakoff publie un article très documenté dans la Revue philosophique de la France et de l’Étranger, fondée et dirigée par le psychologue français Théodule Ribot, à qui on doit la monographie Les maladies de la mémoire, qui présente cette fonction sous la forme de différentes strates allant des plus simples au plus complexes, fruits de l’évolution phylogénétique et ontogénétique. Les manifestations les plus complexes sont aussi celles qui sont les plus sensibles aux processus pathologiques. De façon générale, les processus conscients semblent plus affectés par les maladies de la mémoire que les processus non conscients. Au début du 20e siècle, le psychologue genevois Edouard Claparède montre, avec des méthodes d’exploration de la mémoire héritées d’Ebbinghaus, une « économie au réapprentissage » chez une patiente atteinte d’un syndrome de Korsakoff. Ainsi, cette dernière réapprend plus vite des listes de syllabes qu’elle avait déjà apprises auparavant, mais qu’elle semblait avoir oubliées, en comparaison de listes de syllabes jamais apprises, ce qui suggère que cette forme d’amnésie est en partie liée à une difficulté d’accès aux traces mnésiques. La méthode expérimentale s’invite ainsi dans l’exploration des maladies de la mémoire, dominée jusque-là par les observations cliniques (Eustache et al., 2023).
L’âge d’or correspond aussi à la description des maladies neurodégénératives, sur les plans cliniques et neuropathologiques, avec notamment les écoles allemande et française de neurologie représentées par des auteurs comme Arnold Pick et Aloïs Alzheimer pour la première, Jean-Martin Charcot pour la seconde. Ce sont aussi des œuvres majeures en philosophie : Henri Bergson et Matière et mémoire, Edmund Husserl et La phénoménologie pour une conscience intime du temps, la naissance de la psychanalyse de Sigmund Freud, le fondateur ayant lui-même une formation neurologique. Enfin, la littérature n’est pas en reste avec l’œuvre monumentale et avant-gardiste de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, qui met sur le devant de la scène la force des « mémoires involontaires » et tant d’autres phénomènes mnésiques qui seront décryptés par des scientifiques après lui (Serça, 2022).
Toutes les conditions semblaient donc réunies pour qu’une science de la mémoire, méthodique et conceptuelle, s’installe durablement tout au long du 20e siècle. Pourtant, l’histoire s’écrit autrement et la Grande Guerre contribue à freiner les découvertes. Le behaviorisme, courant dominant en psychologie dans la première moitié du 20e siècle, éloigne également les chercheurs de l’étude des mécanismes de la mémoire. En neurophysiologie, il faudra ainsi attendre 1937 et la description, par James Papez, du circuit qui portera son nom. Il est étonnant que le rôle de ce circuit dans la mémoire ait été ignoré dans un premier temps, le mot « mémoire » ne figurant pas même dans le texte de l’article. Ce circuit, qui relie différentes structures du système limbique (hippocampe, corps mamillaires, thalamus, gyrus cingulaire), est d’abord dévolu aux émotions, mais des travaux ultérieurs soulignent son implication dans la mémoire. Ainsi, son atteinte bilatérale entraîne un syndrome amnésique, le syndrome de Korsakoff étant le plus emblématique d’entre eux.
La révolution de la mémoire collective
En fait, la méthode pathologique initiée par Ribot n’a jamais vraiment cessé, comme le montrent les leçons au Collège de France de Janet. Les travaux du psychiatre Jean Delay, qui publie à son tour « Les maladies de la mémoire » pendant la Seconde Guerre mondiale, s’inscrivent également dans cette veine (Delay, 1942). Par ailleurs, Jean Piaget introduisit la notion de « schéma », prélude à la théorie des schémas qu’a proposée le psychologue britannique Frederic Bartlett. Dans son livre intitulé Remembering (Bartlett, 1932), il s’attache, à partir d’une expérience de psychologie expérimentale, à comprendre la transformation de la mémoire avec le temps. « Les schémas sont des structures cognitives abstraites, ils se forment par diverses confrontations avec l’environnement, ils organisent les informations selon des modes et des groupements spécifiques ». Les « schémas » sont indispensables pour comprendre comment fonctionne la mémoire et le concept est repris dans nombre de travaux de neurosciences actuels.
Pendant toutes ces années, et jusqu’à une date récente, le concept de mémoire collective n’est pas intégré aux travaux de psychologie ou de neurosciences consacrés à la mémoire. Pourtant, dans un livre pionnier paru en 1925 – Les cadres sociaux de la mémoire – le philosophe et sociologue français Maurice Halbwachs écrit que tout acte de mémoire est un acte social, ce qui signifie que l’encodage et le rappel d’un souvenir s’effectuent dans un certain cadre social. Même si je suis seul, je ne suis jamais seul, je suis toujours en représentation sociale. Halbwachs anticipe ainsi des travaux de psychologie sociale menés au début du 20e siècle, qui soulignent la dimension communicative de la mémoire, laquelle se construit et se modifie sans cesse dans les échanges entre les individus, sous la gouverne d’une forme de mémoire collective, que nous appellerons mémoire interpersonnelle. « C’est dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et participe à cette mémoire qu’elle serait capable de se souvenir » (Halbwachs, 1925).
Halbwachs est à l’origine d’une vraie rupture en promouvant le concept de mémoire collective mais il insiste moins sur les possibilités de dialogue avec les sciences du vivant. Pourtant des passerelles étaient possibles et se firent jour dans l’entre-deux-guerres, à défaut d’être vraiment empruntées. Lucien Febvre, en 1941, proposa un article majeur sur l’articulation possible entre histoire et psychologie, très influencé qu’il était alors par son ami le psychologue Henry Wallon. Il écrivait, tel un appel à la recherche : « Et voilà donc (qu’on pardonne à un pauvre historien ce cri d’artiste) – et voilà donc un beau sujet. Tant de gens s’en vont qui se désolent à chaque pas : plus rien à découvrir, paraît-il, dans des mers trop frayées. Qu’ils se plongent dans les ténèbres de la psychologie aux prises avec l’histoire : ils reprendront du goût à l’exploration ». Mais cet appel ne fut guère entendu.
Il est frappant de noter que les psychologues qui s’intéressent à la mémoire collective se tournèrent en général vers Bartlett, alors que les sociologues et les historiens ne connurent qu’Halbwachs. Il fallut attendre les années 2000 pour que les choses commencent à bouger. Entre temps les passerelles étaient rompues ou n’avaient simplement pas été posées (Eustache & Peschanski, 2022 ; Gensburger & Lefranc, 2023).
Une évolution cloisonnée des recherches sur la mémoire
Les années 1960 voient émerger un nouveau courant en psychologie expérimentale, la psychologie cognitive, dont l’objectif n’est rien de moins que de décrire les mécanismes de la pensée, y compris bien sûr, de la mémoire. La neuropsychologie cognitive lui emboîte le pas avec, comme sujet d’étude, le patient souffrant d’une lésion ou une maladie cérébrale. Les dissociations observées chez un patient, entre processus perturbés et préservés, contribuent à la description des mécanismes et de l’architecture de la pensée. Les investigations s’étendent à des personnes qui présentent des troubles de la cognition, sans que des lésions cérébrales soient avérées, comme dans des pathologies psychiatriques ou neurodéveloppementales.
Dès les années 1960 et pendant plusieurs décennies, les descriptions de patients amnésiques par Brenda Milner, par Endel Tulving et tant d’autres apportent une nouvelle dynamique aux études sur la mémoire humaine. L’imagerie cérébrale accompagne bientôt ce renouveau, tant chez le sujet sain – puisqu’il devient possible de visualiser le fonctionnement du cerveau lors d’une activité mnésique – que chez des patients souffrant d’une pathologie de la mémoire. Ce nouvel âge d’or de l’étude de la mémoire s’attache à décrire les mécanismes conscients et non conscients de la mémoire, y compris dans leurs dimensions subjectives, dans les liens entre différentes formes de mémoire et différents niveaux de conscience. Des méthodologies expérimentales sont élaborées à cet effet, comme les paradigmes Remember-Know. Dans le premier cas, Je me souviens : j’accède à un souvenir spécifique. Dans le second, Je sais : j’ai bien conscience de connaître cette information, mais sans qu’elle renvoie à un souvenir véritable. Ce paradigme sera utilisé dans des cadres variés, chez l’enfant, au cours du développement, dans différentes pathologies, pour appréhender l’impression subjective de récupération en mémoire.
L’étude de la mémoire n’est plus restreinte aux mécanismes de l’instrument mémoire (encodage, stockage, récupération) mais aussi et de plus en plus aux contenus de la mémoire et à leur évolution changeante. Le début des années 2000 voit l’arrivée sur le devant de la scène du concept de mémoire autobiographique, mémoire propre à un individu qui se construit et se réactualise tout au long de sa vie. En un peu plus d’un siècle, l’étude de la mémoire humaine s’est enrichie ; elle s’est rapprochée de la vie mentale de l’individu pour accéder à son intimité, mais cette évolution – la mémoire autobiographique est emblématique à cet égard – a renforcé la dimension individuelle de la mémoire.
Les psychologues cognitivistes ont beaucoup insisté sur la mémoire du contexte spatial et temporel, qui contribue à qualifier l’impression subjective du souvenir : un vrai souvenir est indissociable de son contexte. Toutefois, le contexte social d’Halbwachs n’était pas intégré à leurs modélisations. L’étude de la cognition sociale a pourtant connu des avancées majeures, à partir des années 2000, en psychologie et en neurosciences. Par exemple, la théorie de l’esprit est devenue un concept essentiel pour comprendre différents troubles neurodéveloppementaux ou neuropsychiatriques (Huguet & Eustache, 2020).
Pour autant, le fort développement des sciences cognitives est apparu comme marqué par le souhait de chercher dans les neurosciences, et non dans une dialectique entre neurosciences et sciences sociales, les clés de la compréhension des mécanismes mémoriels. Ce n’est pas venu non plus de sciences humaines et sociales. Ce que nous dénommerons « la deuxième révolution épistémologique » des travaux sur la mémoire, souvent partie de France, a été particulièrement fructueuse. Elle s’est cependant accompagnée d’une étanchéité disciplinaire : on reste dans le domaine des sciences humaines et sociales, au point que le principal conflit, interne donc, oppose historiens et sociologues. On se situe dans les années 1970 : séminaire pluriannuel à l’appui, Pierre Nora se polarise sur les lieux de mémoire. Cela débouche sur une œuvre majeure (Nora, 1984–1992) et, en relais, une forme de déclinaison dans le monde entier. Dans les années 1980, on s’intéresse à la mémoire des grandes crises du XXe siècle : c’est le cas de la mémoire communiste avec Marie Claire Lavabre (1994) et de celle de l’État français avec Henry Rousso (1987). Le phénomène est général dans le monde, le plus souvent en déclinant les thématiques des lieux et des moments suivant les pays, leurs cultures et leurs histoires. L’un et l’autre ont proposé ensuite un cadre conceptuel approfondi pour approcher la mémoire collective (Lavabre, 2007 ; Rousso, 2012).
On peut aussi citer le cas du sociologue Jeffrey Olick qui, depuis les années 1980, s’attache, comme souvent dans cette école sociologique, à creuser les fondements théoriques de la mémoire collective tout en travaillant sur la mémoire de l’Holocauste dans l’Allemagne d’après-guerre. En distinguant “collective” and “collected” memory, il pointe cette constante aporie dans ce champ disciplinaire : on parle de mémoire collective, mais on s’attache aussi, dans le même temps, à travailler sur des témoignages individuels qui contribuent à la construction du collectif (Olick & Levy, 1997 ; Olick, 2005).
Plus généralement un grand historien allemand, Jan Assmann, va marquer toute la nouvelle génération d’historiens et de sociologues avec son travail sur la « mémoire culturelle » (Assmann, 1995). Fort de ses travaux d’égyptologue, il recompose les concepts pour enrichir, plus que pour s’en démarquer, la boîte à outils conceptuels d’Halbwachs et, très influencé aussi par l’historien de l’art Aby Warburg, il propose de distinguer « mémoire culturelle » et « mémoire communicationnelle ». Chez ces auteurs, et d’autres, on voit donc apparaître une distinction entre une mémoire interpersonnelle qui permet des échanges entre les individus, et une mémoire culturelle, ou sociale, qui les transcende, une distinction que nous avons reprise à notre compte, sur un plan théorique et dans la conception même du Programme 13-Novembre (voir infra). Ces différentes formes de mémoire se transforment au fil du temps et contraignent les mémoires des individus.
Force est de constater cependant que tous ces travaux, majeurs, se sont construits dans la clôture disciplinaire. Ils ne posent pas cette question qui nous semble cruciale et qui nourrit les sciences de la mémoire que nous promouvons : est-il possible de comprendre pleinement la mémoire collective si l’on ne prend pas en compte les dynamiques cérébrales de la mémoire ? Est-il possible de comprendre pleinement ces dynamiques cérébrales si l’on ne prend pas en compte l’impact du social ?
Des rapprochements pourtant possibles
Malgré toutes les années marquées par des évolutions cloisonnées, on assiste à l’émergence d’un nouveau domaine de recherches, croisant les dernières avancées de la neuropsychologie et des neurosciences cognitives et la compréhension des mécanismes de mémoire collective. Un des points de départ est le concept de mémoire autobiographique, plus proche de la réalité de la mémoire au quotidien que ne l’étaient les approches expérimentales antérieures. Selon le modèle de Conway (2001), la reconstruction du souvenir implique l’accès à différents éléments autobiographiques qui peuvent être classés en quatre niveaux de spécificité croissante. Ceux-ci contiennent les connaissances sémantiques générales associées à l’histoire de vie (e.g., ma carrière professionnelle), à des périodes de vie (e.g., quand j’étais étudiant en psychologie ou en histoire), à des événements généraux (e.g., mon activité clinique hospitalière ou mon enseignement à l’université de sciences humaines et sociales) et enfin les détails spécifiques d’un événement (e.g., une consultation particulièrement marquante ou qui posait un problème particulier ou une discussion un peu vive lors d’un colloque sur la Seconde Guerre mondiale). Dans ce dernier niveau, le contexte spatiotemporel et les perceptions, pensées et émotions présentes au moment de l’encodage sont accessibles à notre conscience. Selon ces modèles, c’est de l’accès à ce niveau de détails, à partir de connaissances plus générales, que dépend la nature épisodique du souvenir. Le plus souvent, cet accès met en jeu les fonctions exécutives et le modèle d’identité du sujet, aussi appelé le « Self ». Ces dernières années, de nombreux travaux ont souligné les altérations spécifiques de la mémoire autobiographique dans différentes pathologies en lien avec divers troubles cognitifs.
De façon intéressante, les travaux portant sur la mémoire autobiographique se sont détachés des représentations individuelles pour porter sur les aspects communicationnels de la mémoire et sur leur dimension nécessairement sociale. Au plus proche des théories d’Halbwachs et de Bartlett, les travaux menés par Coman et al. (2009) montrent que, lors d’un échange entre plusieurs individus, d’une part les arguments évoqués sont rehaussés – ils seront plus facilement partagés entre les individus et accessibles en mémoire par la suite, d’autre part les arguments non évoqués sont dégradés, à savoir qu’ils deviennent alors moins disponibles qu’avant l’échange initial entre les individus. Outre le fait de souligner leur caractère dynamique et changeant, ces travaux montrent que les mémoires se construisent dans les échanges entre les individus. Ainsi, les conceptions de la mémoire autobiographique, largement dérivées des thèses de Tulving (2001) et de Conway (2001), ont surtout mis l’accent sur les dimensions personnelles et subjectives, ce qui est parfois appelé la phénoménologie du souvenir, et moins sur l’importance de la relation à l’autre et avec notre environnement social et culturel, mais des rapprochements sont en train de s’opérer.
Comme souvent et sans concertation particulière, des interrogations complémentaires émergent. Cela se confirme quand on souhaite articuler sciences du vivant et sciences humaines et sociales. Deux acteurs de référence, John Cacioppo & Gary Bernston (2002), ont posé la question à partir de leurs domaines de compétences à savoir les neurosciences et les sciences cognitives, puisque leur livre séminal s’intitule Foundations in Social Neuroscience.
Celui qui est allé le plus loin est sans doute le psychologue William Hirst, pour qui il est nécessaire d’intégrer les dynamiques psychologiques de remémoration individuelle à la définition de la mémoire collective (Hirst & Manier, 2008). Selon cet auteur, les interactions entre niveaux individuels et collectifs peuvent être décrites à la fois selon une approche bottom up et top down. L’approche bottom-up s’intéresse aux facteurs cognitifs individuels qui modulent la formation d’une mémoire collective, et vise à comprendre comment ces mécanismes individuels sont modifiés par les interactions au sein du groupe (la mémoire communicative). L’approche top down s’intéresse aux principes généraux qui gouvernent l’influence de la mémoire collective sur les mémoires individuelles. Les travaux de cet auteur ont joué un rôle important dans les études que nous avons lancées sur les liens entre la mémoire individuelle et la mémoire collective.
Tel est le cas de l’étude de Dégeilh et al. (2021) qui a consisté à utiliser certaines données recueillies par William Hirst dans le cadre de son programme de 10 ans portant sur les souvenirs-flash ou mémoire des conditions dans lesquelles on apprend un événement, ce qu’on appelle en anglais flashbulb memory. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, William Hirst et ses collègues avaient proposé des questionnaires à quatre reprises en 10 ans entre 2001 et 2011. L’étude de Dégeilh et ses collaborateurs a porté sur les 204 personnes qui avaient répondu aux quatre sessions de questionnaires. En reprenant ce corpus, nous avons utilisé la textométrie pour comprendre comment évoluaient les souvenirs-flash des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Cela permit en particulier de voir comment se modifiaient les références temporelles d’une part, spatiales et émotionnelles d’autre part, les premières s’estompant progressivement alors que les secondes semblaient plus résistantes au passage du temps.
Dans le cadre de nos programmes, l’étude de Gagnepain et al. (2020) a porté sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en ayant recours à différents dispositifs, notamment les dépôts légaux de documents audio-visuels à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). Ainsi, pour appréhender la mémoire collective, nous avons procédé à une analyse de la couverture médiatique de cette période, afin d’en identifier les représentations collectives, en utilisant le contenu de 30 ans de reportages et de documentaires sur la guerre, diffusés entre 1980 et 2010 à la télévision française et retranscrits par écrit à partir de l’audiovisuel. À l’aide d’un algorithme et d’une analyse textométrique, Gagnepain et al. (2020) ont analysé ce corpus et identifié des groupes de mots utilisés pour parler de grandes thématiques associées à notre mémoire collective de cette guerre, comme le débarquement allié en Normandie. Des participants à l’étude ont ensuite visité le Mémorial de la Seconde Guerre mondiale situé à Caen et ont été invités à observer des photos, accompagnées de leurs légendes. En s’appuyant sur celles-ci, l’équipe a pu préciser la proximité entre chacune des images : lorsque deux photos étaient associées aux mêmes thématiques, elles étaient considérées comme « proches » dans la mémoire collective. Les chercheurs se sont ensuite enquis de savoir si le même degré de proximité entre les photos se retrouvait dans les souvenirs individuels en proposant un examen en imagerie par résonance magnétique (IRM) aux volontaires, pendant que ceux-ci se remémoraient les images vues la veille au Mémorial. Cette méthodologie a permis de montrer que la mémoire collective, qui existe en dehors des individus, façonne la mémoire individuelle et s’immisce dans le cerveau d’un individu. Ce travail s’inscrit dans l’objectif plus général du Programme 13-Novembre qui est de proposer divers modèles d’inférences issus de disciplines différentes. Ici il s’agit de proposer un modèle d’inférence de la mémoire collective sur la mémoire individuelle, en privilégiant une approche neuroscientifique tout en convoquant, en second, d’autres champs disciplinaires.
Les deux travaux pris en exemple (Gagnepain et al., 2020 ; Dégeilh et al., 2021), fondés sur le choix de la transdisciplinarité et sur lesquels nous nous étions engagés depuis plusieurs années dans le cadre de l’équipement d’excellence MATRICE, nous ont conduits à proposer, dans des conditions très particulières, le Programme 13-Novembre.
Le Programme 13-Novembre
Le Programme 13-Novembre, portant sur la mémoire des attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, cherchait à répondre à un défi : analyser la mémoire d’un événement traumatique en proposant une approche transdisciplinaire. Il s’agissait également de répondre à l’horreur par un engagement citoyen et avec les armes de la recherche et de la connaissance. Le programme, débuté en 2016 et prévu jusqu’en 2028, comprend à ce jour une dizaine d’études. Il s’articule autour de deux protocoles de recherche que sont l’Étude 1000 (forgée dans les sciences humaines et sociales, mais s’ouvrant sur la psychologie et l’Intelligence Artificielle) et son étude ancillaire en neurosciences et neuropsychologie REMEMBER, dont plusieurs questions ne peuvent trouver réponse qu’en mobilisant les analyses des sciences humaines et sociales (Eustache & Peschanski, 2017, 2021, 2022).
L’Étude 1000 consiste en un suivi de cohorte : l’objectif est de recueillir les témoignages audiovisuels de quelque 1000 personnes, à quatre moments en dix ans. Qui dit cohorte dit la volonté d’en retrouver à chaque fois une grande proportion afin d’appréhender les évolutions de la mémoire des témoins directs ou indirects des attentats de novembre 2015. Les trois premières phases ont été réalisées en 2016, 2018 et 2021–2022. Pour l’étude REMEMBER, les déplacements et le temps de présence imposaient un décalage. Déjà deux phases se sont déroulées et une troisième a commencé à l’automne 2022.
Ce programme longitudinal soulève autant de questions techniques qu’épistémologiques : développer des protocoles à la croisée des disciplines, avec des outils spécialisés de dernière génération. Elle implique la présence d’une équipe de soutien à la recherche rigoureuse et innovante. Dans les laboratoires et chez tous les partenaires, ce sont des dizaines de personnels qui travaillent à rendre possible, à pérenniser et valoriser les résultats. Une vingtaine de thèses, une majorité en cours, sont rattachées au programme, en neurosciences comme en science politique et en sociologie, en droit comme en psychologie, en épidémiologie comme en Intelligence Artificielle. Croiser ces disciplines s’est de plus en plus imposé pour le suivi des quelque 200 volontaires inclus dans les deux protocoles : Étude 1000 et REMEMBER.
Étude 1000
L’Étude 1000 cherche donc à recueillir les témoignages des mêmes mille personnes lors de quatre campagnes d’entretiens filmés en 2016, 2018, 2021 et plus tard en 2026. Un même protocole, conçu de manière transdisciplinaire en 2016, est appliqué à chaque phase. La durée des entretiens, menés principalement par des sociologues et des historiens (entre 80 et 100 à chaque captation), varie et mobilise les volontaires jusqu’à une demi-journée sur le lieu du tournage. Les captations sont réalisées techniquement par l’INA et l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense. Les travaux de William Hirst ont fortement influencé l’Étude 1000, la grande différence étant dans ce cas l’utilisation de moyens audiovisuels et la volonté, d’emblée, de revoir un maximum de ces personnes à quatre reprises.
L’Étude ne vise pas un échantillon représentatif, mais suffisamment diversifié pour élaborer une cartographie de témoignages la plus complète et variée possible. Sur la base de la proximité des volontaires avec les événements ou les lieux des attentats, leur répartition se fait dans quatre cercles, du plus proche au plus lointain, le cercle 1 regroupant les exposés (victimes, intervenants, témoins, parents endeuillés), le cercle 2 les non exposés des quartiers concernés (10e et 11e arrondissements de Paris, Saint-Denis), le cercle 3 les habitants du reste de la métropole parisienne, le cercle 4 des volontaires de trois villes de province (Caen, Metz, Montpellier). Une fois filmés, les entretiens sont enregistrés et retranscrits par un logiciel speech-to-text (©Vocapia), qui transforme un discours oral en texte de manière automatique. Pour permettre la mise à disposition des entretiens aux chercheurs, les équipes de l’Étude 1000 corrigent ces transcriptions automatiques. Chaque témoignage est accompagné d’une synthèse d’une trentaine de lignes et des mots-clefs permettant de recenser les éléments saillants du contenu des entretiens. Ces actions sont essentielles à l’Étude, en ce qu’elles transforment les entretiens en données exploitables par la recherche (Nattiez et al., 2020).
Remember
L’étude REMEMBER est un protocole de recherche biomédicale qui porte sur l’impact psychopathologique, cognitif (Coll et al., 2022) et cérébral (étudié via l’IRM) des attentats. Les quelque 200 volontaires sont issus, pour l’essentiel, de la cohorte de l’Étude 1000. REMEMBER cherche à évaluer les conséquences d’un événement traumatique et du stress qui en découle sur l’évolution des fonctions mentales, psychologiques et cérébrales, et, à terme, d’améliorer leur prise en charge. En 2016, le groupe était formé de 72 sujets non exposés et de 118 sujets exposés aux attentats, ces derniers formant deux sous-groupes (de même taille) selon qu’ils présentaient, ou non, un trouble de stress post-traumatique (TSPT).
L’un des symptômes du TSPT est la survenue intempestive d’intrusions. Pour la mesurer, REMEMBER confronte le participant à des intrusions « expérimentales », en s’interdisant toute image ou tout mot potentiellement traumatisant. Le participant apprend une série de paires mot-image non liés avant le passage dans l’IRM, ce qui permet d’observer le fonctionnement du cerveau pendant qu’il réalise une tâche où il génère et tente d’inhiber une intrusion. L’étude d’imagerie cérébrale montre que la résurgence des images et pensées intrusives serait liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux, sollicitant notamment le cortex préfrontal et l’hippocampe, impliqués dans le contrôle de la mémoire (Mary et al., 2020 ; Leone et al., 2022). De plus, des anomalies structurales de l’hippocampe pourraient être associées au développement et à la persistance des symptômes. Cette région est composée de plusieurs sous-champs, possédant chacun des caractéristiques histologiques et des fonctions différentes. Nous montrons que la réduction du volume du sous-champ CA1 de l’hippocampe est liée à la présence des intrusions traumatiques. Ces modifications ne sont pas nécessairement antérieures au trauma, mais sans doute liées au stress et à l’angoisse que provoquent les intrusions. Il est alors possible d’envisager avec espoir que les modifications observées dans l’hippocampe soient réversibles dès lors que les symptômes intrusifs diminuent (Postel et al., 2021).
Autres études
L’étude ESPA, portée par Santé Publique France, est une étude épidémiologique, qui interroge des volontaires, victimes, proches, intervenants et témoins des attentats du 13 novembre 2015, par le biais de web-questionnaires. Menée en deux phases, en 2016 et en 2021, elle vise à estimer l’impact psycho-traumatique des attentats et à mieux connaître l’utilisation des dispositifs de soins proposés. La prévalence élevée du TSPT probable chez les rescapés et chez les parents endeuillés (plus de 50 % des volontaires) constitue l’une des conclusions majeures de l’étude. L’anxiété et la dépression sont plus sensibles encore chez les endeuillés (Pirard et al., 2022). Chez les « témoins », l’étude ESPA a montré que la recherche de soutien auprès de psychologues ou psychiatres est bien moindre que dans les autres catégories, comme s’ils ne se trouvaient pas légitimes. Si l’on se tourne vers les intervenants (policiers, services de santé, pompiers etc.), on relève que, sans surprise, les taux de TSPT probable sont très sensiblement inférieurs à ceux observés chez les « civils », mais aussi que ces taux sont sensiblement plus élevés chez les policiers (Motreff et al., 2022).
L’étude du CREDOC permet, pour sa part, d’approcher au mieux la mémoire collective (Hoibian, 2016, 2017, 2018, 2019). Depuis plus de quarante ans, cet organisme mène chaque semestre une enquête sur les « Conditions de vie et Aspirations » auprès d’un échantillon représentatif de la population française. L’idée de base est simple, comme l’illustre l’article de Sandra Hoibian et collaborateurs publié dans ce même numéro de Biologie Aujourd’hui : sachant que ni l’Étude 1000, ni a fortiori REMEMBER ne s’appuient sur un tel échantillon représentatif et que l’objectif est bien de comprendre comment s’articulent mémoire individuelle et mémoire collective, de tels sondages sont essentiels pour appréhender la mémoire collective. Ils ouvrent donc de nombreuses pistes pour comprendre non seulement les évolutions de cette dernière, mais aussi les interactions éventuelles avec les mémoires individuelles des volontaires inclus dans ces études. On constatera dans cet article (Hoibian et al., 2023) toute la richesse d’une approche qui part du principe que la mémoire collective se construit dans la contemporanéité de l’événement. On a, comme illustration de cette interaction entre le collectif et l’individuel, cet événement majeur qu’a constitué le procès des attentats du 13 novembre.
Le procès historique des attentats du 13 novembre 2015 : des enjeux mémoriels renouvelés
Nous écrivons cet article à un moment particulier dans les suites des attentats du 13 Novembre, puisque le procès s’est terminé il y a un an seulement (septembre 2021–juin 2022). Ce procès, exemplaire par ailleurs, est comme une illustration de la validité des interrogations sur la mémoire. En effet, les très nombreux journalistes ont nourri leurs comptes rendus d’audience des témoignages entendus à la barre ou recueillis par eux. La convergence de ces comptes rendus montre que se construit entre ces journalistes une forme de grand récit commun. Compte tenu de la médiatisation exceptionnelle dudit procès, on peut imaginer – étape suivante – que ce grand récit commun a participé à la construction d’une mémoire collective de ces attentats dans la société française et, dès lors, sous une forme sans doute dégradée bien entendu, de la mémoire individuelle de chacun des concitoyens.
Une autre constatation s’impose en comparant avec les autres procès (ainsi avec celui de Nice), mais aussi au sein même de ce procès dit V13 : quand la mémoire individuelle ou celle d’un petit groupe n’est pas relayée par la mémoire collective, le terrain est favorable à l’entretien de TSPT ou de pathologies proches. C’est en quelque sorte la double peine : non seulement les victimes ont vécu ce qu’elles ont vécu (rescapés ou parents endeuillés en particulier) mais elles sont oubliées, ce dont elles ont très bien conscience.
Dans la mesure où le procès a donné la parole à ces « oubliés », ceux du Stade de France ou des Terrasses en particulier, alors que la mémoire collective se focalisait sur le Bataclan, les prochaines études du CREDOC nous permettront de savoir dans quelle mesure ce procès a eu un impact sur la mémoire du 13-Novembre. On verra également alors comment évolue le régime mémoriel, s’il reste toujours structuré par la figure de la victime et si une place y demeure aussi pour les très nombreux « héros », intervenants (policiers, personnels médicaux, pompiers…), voisins qui ouvrent leurs portes, victimes elles-mêmes qui ont multiplié les gestes de solidarité face à l’épreuve ultime. La centralité de la figure de la victime ne peut surprendre tant elle n’est pas propre à cet événement : depuis le milieu des années 1980, la figure de la victime est devenue structurante des divers régimes mémoriels qui se sont imposés en France, comme dans la mémoire de la Seconde Guerre mondiale où la victime juive a supplanté le héros résistant qui, lui, était hégémonique dans les représentations des années 1960 (Peschanski, 2020a, 2020b).
Ces quelques exemples, au plus près des personnes et de leurs réactions, permettent aussi de valider une forme de pari épistémologique. D’évidence, il était essentiel de croiser les approches disciplinaires et construire en commun l’objet de recherche si nous voulions vraiment comprendre les mémoires d’un événement traumatique, ressenti collectivement et fortement médiatisé, y compris sur le long terme. Avec ce programme, comme avec les outils technologiques et les multiples données recueillies que nous proposons à la communauté scientifique, nous appelons de nos vœux la construction de nouvelles sciences de la mémoire fondées sur une approche nécessairement interdisciplinaire.
La place singulière du trouble de stress post-traumatique
L’exploration de la cohérence entre la mémoire individuelle et la mémoire collective, pour un individu, est particulièrement pertinente dans le TSPT en permettant une meilleure compréhension des facteurs de risque et de résilience. Les distorsions de la mémoire au cœur de ce trouble ont un profil très particulier puisqu’il associe une hypermnésie de certains aspects émotionnels et perceptifs liés à l’événement traumatique et une amnésie plus ou moins marquée des aspects contextuels. La mémoire autobiographique de ces patients est altérée, comme en témoigne leur difficulté à se distancier de l’événement traumatique et à lui faire perdre son caractère d’immédiateté. Les patients ont tendance à considérer leur traumatisme comme un événement autobiographique majeur, les caractérisant au premier chef, mais mal intégré à l’ensemble de leur parcours de vie. Par ailleurs, l’altération de l’image de soi, dominée par des perceptions négatives, guide la nature des souvenirs rappelés. Un trouble de la mémoire émotionnelle est au cœur du TSPT et des thérapeutiques visent d’ailleurs à atténuer la charge émotionnelle qui pèse sur le souvenir traumatique pour le rendre « acceptable ». L’existence d’un contexte sécurisant autour du patient est aussi un facteur de protection (Eustache, 2023).
Ce contexte implique le cadre familial et professionnel mais doit s’étendre au cadre social. En cela, nous faisons l’hypothèse selon laquelle la mémoire collective attachée à un événement traumatique aura un rôle majeur sur la mémoire de l’individu, d’autant plus s’il s’agit d’un événement à grande échelle. Si cette mémoire collective est en phase avec la mémoire de l’individu, elle aura un rôle de catalyseur dans la réécriture et la consolidation de ses souvenirs en leur permettant de devenir acceptables. Au-delà, elle favorisera la mise en place de mécanismes de résilience, le cadre social venant appuyer les mécanismes de reconstruction. Si, au contraire, ces deux formes de mémoire s’élaborent de façon désordonnée, voire antagoniste, elles seront toutes deux fragilisées avec des effets néfastes. Il faudra ainsi creuser le partage d’hypothèses sur la bonne gestion d’un passé traumatique ou simplement dramatique : la solution n’est pas dans l’oubli, mais dans l’acceptation de ce passé sans qu’il vienne envahir le présent. L’acceptation vaut alors pour la douleur que ce rappel peut susciter, mais une douleur maîtrisée. C’est la distinction majeure entre la douleur et la souffrance.
L’histoire fournit plusieurs exemples de discordances entre mémoires individuelles et collectives, qui ont donné lieu à une faillite, au moins temporaire, de ces mémoires, comme ceux de l’exode de mai-juin 1940 ou des bombardements alliés de 1944 sur la Normandie. Dans la mesure où la mémoire collective est une représentation sélective du passé qui vise à la construction identitaire du groupe, il faut que l’événement ait un sens, une utilité sociale, ce qui n’était pas le cas dans ces deux exemples. Cette absence d’explicitation ne signifie pas pour autant oubli complet et définitif, car la mémoire collective évolue avec le temps et les conditions de la mise en récit mémoriel peuvent être réunies longtemps ou très longtemps après l’événement et sa première remémoration. Les individus qui ont vécu au plus près ces événements tragiques se trouvent ainsi en désaccord avec l’écriture du grand récit collectif, ce qui peut nuire à leur reconstruction (voir la Figure 1 pour une représentation d’ensemble).
Cette lecture de la construction conjointe, discordante ou non, de différentes strates des mémoires individuelles et collectives, pourrait trouver des applications dans diverses situations qui placent l’individu dans une rupture existentielle. Ces troubles de la mémoire peuvent être compris, en partie, comme résultant d’un bouleversement psychosociologique lié à un changement de statut entraînant une discordance entre mémoire individuelle et mémoire collective (les cadres sociaux d’Halbwachs) : une personne insérée dans la vie sociale active devient une personne malade, avec d’autres contraintes, d’autres préoccupations, une autre perception par autrui. Ce cadre théorique ouvre également des pistes de réflexion pour la prise en charge des patients, notamment sur la façon dont l’entourage – les soignants, les aidants, mais aussi le cadre social plus large – doit s’adapter à la trajectoire existentielle, certes modifiée, mais en construction permanente d’un patient singulier.
Cette approche peut aussi trouver des développements pertinents chez des patients qui ont une pathologie de la mémoire (comme une maladie d’Alzheimer ou un syndrome amnésique). Les troubles de la mémoire y sont sévères avec une amnésie rétrograde qui remonte loin dans leur passé. Les patients vont, ou non, ressentir un décalage entre leur vécu au quotidien (par exemple le fait de vivre dans un hôpital ou une résidence pour personnes âgées dépendantes) et la mémoire de leur environnement antérieur auquel ils restent attachés, ce décalage pouvant porter sur plusieurs décennies. Là encore, les distorsions de la mémoire autobiographique entre la mémoire vécue au jour le jour et le « cadre social » constituent un moyen de compréhension des troubles de la mémoire et plus largement de la cognition et du comportement et un guide potentiel pour la prise en charge des patients.
L’élaboration de nouvelles sciences de la mémoire, qui nécessite une refondation théorique d’ensemble, n’a pas qu’une portée théorique. Elle entraîne de multiples applications dont la compréhension et la prise en charge thérapeutique de personnes souffrant d’une pathologie de la mémoire, le TSPT constituant l’exemple actuellement le plus démonstratif et le mieux documenté.
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Figure 1 Schéma des interfaces entre mémoire individuelle et mémoire collective. Sur la droite, le modèle MNESIS représente la mémoire individuelle composée de cinq systèmes (Eustache et al., 2016). Les trois systèmes de représentation à long terme (mémoire perceptive, mémoire sémantique, mémoire épisodique) y sont organisés de façon hiérarchique (de bas en haut), mais la plupart des souvenirs épisodiques font l’objet d’un processus de sémantisation au fil du temps. De plus, les phénomènes de reviviscence sont indispensables à la consolidation (et reconsolidation) mnésique, soulignant l’importance du caractère dynamique et reconstructif de la mémoire. Au centre, la mémoire de travail, avec ses diverses composantes (administrateur central, boucle phonologique, registre visuo-spatial, buffer épisodique), est une structure d’interface temporaire qui sollicite différents systèmes neurocognitifs. La mémoire procédurale est présentée avec une hiérarchie allant du support d’habiletés motrices et perceptivo-motrices à celui d’habiletés cognitives. Les liens se distendent au cours de l’automatisation progressive de l’apprentissage. Sur la gauche sont représentées les deux composantes de la mémoire collective : la mémoire interpersonnelle construite lors d’interactions avec d’autres individus et la mémoire culturelle qui transcende un individu tout en exerçant une influence sur lui. La mémoire individuelle est aussi façonnée par différentes strates de la mémoire collective (Eustache & Peschanski, 2022). |
Remerciements
L’Inserm et Le CNRS sont les porteurs scientifiques et HeSam Université le porteur administratif du Programme 13-Novembre, qui compte 31 partenaires et 25 soutiens dont plusieurs ministères, des collectivités territoriales comme les régions Île de France et Normandie, et toutes les associations de victimes. Nous remercions Jacques Dayan, Florence Fraisse, Pierre Gagnepain, Bérengère Guillery, Sandra Hoibian, Carine Klein-Peschanski, Mickaël Laisney, Nelly Lefebvre, Yvon Motreff, Jörg Müller, Philippe Pierre, Philippe Pirard, Hervé Platel, Peggy Quinette, Gérôme Truc et toutes les équipes autour d’eux pour leur investissement déterminant dans le Programme 13-Novembre et leurs contributions aux travaux mentionnés dans cet article.
L’équipement d’excellence MATRICE a été financé par le Commissariat Général à l’Investissement en février 2011. Retenu dans ce cadre en avril 2016, le Programme 13-Novembre bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme Investir l’Avenir devenu France 2030 (référence : ANR-10-EQPX-21).
Les études biomédicales REMEMBER et épidémiologique ESPA 13-Novembre ont été validées par un Comité de Protection des Personnes. L’Étude 1000 a été validée par le Comité d’Évaluation Éthique de l’Inserm (et du CNRS).
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Citation de l’article : Eustache, F. et Peschanski, D. (2023). Le Programme 13-Novembre entre mémoire individuelle et mémoire collective. Biologie Aujourd’hui, 217, 39-48
Liste des figures
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Figure 1 Schéma des interfaces entre mémoire individuelle et mémoire collective. Sur la droite, le modèle MNESIS représente la mémoire individuelle composée de cinq systèmes (Eustache et al., 2016). Les trois systèmes de représentation à long terme (mémoire perceptive, mémoire sémantique, mémoire épisodique) y sont organisés de façon hiérarchique (de bas en haut), mais la plupart des souvenirs épisodiques font l’objet d’un processus de sémantisation au fil du temps. De plus, les phénomènes de reviviscence sont indispensables à la consolidation (et reconsolidation) mnésique, soulignant l’importance du caractère dynamique et reconstructif de la mémoire. Au centre, la mémoire de travail, avec ses diverses composantes (administrateur central, boucle phonologique, registre visuo-spatial, buffer épisodique), est une structure d’interface temporaire qui sollicite différents systèmes neurocognitifs. La mémoire procédurale est présentée avec une hiérarchie allant du support d’habiletés motrices et perceptivo-motrices à celui d’habiletés cognitives. Les liens se distendent au cours de l’automatisation progressive de l’apprentissage. Sur la gauche sont représentées les deux composantes de la mémoire collective : la mémoire interpersonnelle construite lors d’interactions avec d’autres individus et la mémoire culturelle qui transcende un individu tout en exerçant une influence sur lui. La mémoire individuelle est aussi façonnée par différentes strates de la mémoire collective (Eustache & Peschanski, 2022). |
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