Numéro |
Biologie Aujourd'hui
Volume 212, Numéro 3-4, 2018
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Page(s) | 89 - 99 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2018026 | |
Publié en ligne | 11 avril 2019 |
Article
Les moustiques vecteurs d’arbovirus : une histoire sans fin
Mosquitoes as vectors of arboviruses: an endless story
Institut Pasteur, Département de Virologie, Arbovirus et Insectes Vecteurs,
25 rue du Dr Roux,
75724
Paris Cedex
15, France
* Auteur correspondant : anna-bella.failloux@pasteur.fr
Reçu :
10
Octobre
2018
L’émergence ou la ré-émergence récente des maladies à transmission vectorielle et plus précisément, celle associée aux arbovirus tels que la dengue, le chikungunya, le Zika ou encore la fièvre jaune ne sont pas des phénomènes nouveaux. Aujourd’hui, la mondialisation des échanges commerciaux, des déplacements des voyageurs ainsi que l’urbanisation anarchique de nombreuses villes tropicales et subtropicales créent les conditions propices à l’installation durable des moustiques vecteurs et par conséquent, à l’introduction des arbovirus. Cette revue décrit les principaux arbovirus importants en santé humaine et leurs vecteurs épidémiques, ainsi que les conditions facilitant leur émergence.
Abstract
The recent emergence or re-emergence of vector-borne diseases (VBD) and, more specifically, VBD associated with arboviruses such as dengue, chikungunya, Zika or yellow fever are not new events. The globalization of trade and travels as well as the unplanned urbanization of many tropical and subtropical cities have created the conditions suitable for the establishment of vector mosquitoes offering opportunities for arbovirus introduction. This review describes the major arboviruses important for human health and their epidemic vectors, and the conditions leading to their emergence.
Mots clés : maladies à transmission vectorielle / arbovirus / moustiques / émergence / changements globaux
Key words: vector-borne diseases / arbovirus / mosquitoes / emergence / global changes
© Société de Biologie, 2019
Les facteurs favorisant la dissémination des vecteurs et de leurs agents pathogènes
Pendant une grande partie de l’histoire de l’humanité, les populations humaines restèrent relativement isolées les unes des autres. Les premiers mouvements de populations de grande ampleur ont eu lieu lors de la traite des esclaves vers le nouveau monde introduisant son cortège d’agents pathogènes qui ont décimé les peuples autochtones (Diamond, 1997). Les guerres régionales et mondiales ont, par la suite, amorcé la mondialisation des agents pathogènes. Plus tard, l’avènement des moyens rapides de transports et, plus particulièrement, le développement de l’aviation, ont accentué la mobilité de l’homme, et ceci au même rythme que la croissance économique mondiale. Depuis 1960, le nombre de passagers a augmenté de 9 % chaque année et le transport de fret a suivi la même tendance (Upham et al., 2003). De même, la mondialisation de l’économie a exacerbé les échanges maritimes de plus de 27 % depuis 1993 (Zachcial & Heideloff, 2003).
Ainsi, la mondialisation des échanges de personnes et de marchandises va exposer une grande partie de l’humanité aux agents pathogènes nouveaux et/ou anciens et également favoriser l’expansion rapide des insectes vecteurs qui les transmettent (Guimera et al., 2005 ; Perrings et al., 2005). Aujourd’hui, plus de 25 % des décès annuels dans le monde sont directement liés aux maladies infectieuses et 23 % de ces maladies infectieuses sont des maladies à transmission vectorielle (Jones et al., 2008). Au travers d’une cartographie des échanges commerciaux et des personnes, il est dorénavant possible d’élaborer une carte des itinéraires à haut risque d’invasion des insectes vecteurs dans le réseau de transport mondial. Ces efforts ont permis une planification des mesures de contrôle prônant des campagnes de désinsectisation des avions et autres moyens de transports (e.g. conteneurs sur bateaux) (Tatem et al., 2006).
Bien que la distance ne soit plus un facteur limitant au trafic des vecteurs, le climat constitue toujours un facteur contraignant l’installation des insectes. En effet, les insectes sont des organismes à sang froid dit poïkilothermes. Incapables de réguler leur température interne, les insectes s’adaptent aux changements de température en se déplaçant vers des zones où les conditions climatiques sont compatibles avec leur développement. À titre d’exemple, la distribution géographique actuelle du moustique tigre Aedes albopictus englobe des régions du monde qui présentent une similarité climatique avec Chiba au Japon, le berceau d’origine de ce moustique (Tatem et al., 2006). De plus, la durée du cycle de développement du moustique dépend de la température : à 30 °C, cette durée est deux fois plus courte qu’à 20 °C (Delatte et al., 2009). Le taux de survie des adultes dépend également de la température (Brady et al., 2013) ; ce paramètre est extrêmement important car le moustique adulte infecté doit survivre suffisamment longtemps pour assurer la transmission de l’agent pathogène.
Le niveau socio-économique des pays apporte également son lot de facteurs aggravants ; par exemple, le non-accès à l’eau potable et la mauvaise gestion des eaux usées créent des points d’eau propices au développement et à la pullulation des moustiques (Woolhouse & Gowtage-Sequeria, 2005). De plus, la déforestation, certaines pratiques agricoles, l’utilisation irraisonnée des insecticides sont d’autres facteurs qui favorisent la transmission des agents pathogènes par les vecteurs.
L’émergence des arbovirus
Les arbovirus (pour Arthropod-Borne Virus) sont des virus très différents d’un point de vue taxonomique mais ont en commun un cycle de transmission faisant intervenir deux hôtes, un vertébré et un arthropode. La transmission biologique ou horizontale (par opposition à la transmission verticale qui est le passage du virus de la femelle infectée à sa descendance) décrit le passage du virus d’un vecteur à un hôte vertébré après un repas de sang infectieux. Alors que la transmission verticale est un phénomène généralement de faible importance, la transmission horizontale est le mécanisme qui assure la circulation active du virus en situation épidémique.
La plupart des arbovirus circulent originellement au sein d’un cycle enzootique dans un environnement forestier entre des primates non humains jouant le rôle de réservoir et des populations de moustiques zoophiles. L’émergence coïncide avec la capture d’un virus selvatique par un moustique anthropo-zoophile, qui joue le rôle de vecteur relais en assurant la transmission du virus de l’animal à l’homme. Le virus peut, par la suite, circuler au sein d’un cycle épidémique/urbain entre l’homme en tant qu’hôte réservoir et amplificateur, et les moustiques anthropophiles comme vecteurs.
L’émergence d’un arbovirus pourrait se décrire selon le scénario suivant (Figure 1) : (i) introduction d’un nouvel arbovirus dans un environnement où la population humaine est réceptive, immunologiquement naïve, provoquant ainsi des épidémies urbaines (e.g., chikungunya en 2013 et Zika en 2014 en Amérique), (ii) retour du virus en milieu forestier (spillback) initiant un cycle enzootique (e.g. fièvre jaune en Amérique), et (iii) sortie du virus du cycle enzootique (spillover) initiant un cycle urbain (e.g. fièvre jaune au Brésil). Chacune de ces trois étapes fait intervenir différentes espèces de moustiques ayant une biologie et une écologie très contrastées. Néanmoins, les vecteurs épidémiques urbains sont principalement Aedes aegypti et Ae. albopictus.
Figure 1 Les différentes étapes dans l’émergence d’un arbovirus. (1) Introduction d’un nouvel arbovirus dans une région où la population humaine est immunologiquement naïve, initiant des épidémies urbaines. (2) Spillback avec retour du virus dans un environnement « sauvage » où il circule entre des animaux sauvages (dont les primates non humains) et des moustiques zoophiles ; l’homme est généralement exclu de ce cycle. (3) Spillover avec sortie du virus du cycle sauvage pour initier un cycle urbain entretenu par des moustiques anthropophiles et dont l’hôte vertébré est principalement l’homme. |
Les vecteurs épidémiques des arbovirus importants en santé humaine
Les épidémies liées aux arbovirus tels que les virus de la dengue, du chikungunya, du Zika et de la fièvre jaune frappent des régions où sont présents Ae. aegypti ou Ae. albopictus (Kraemer et al., 2017). Ces deux moustiques ont su exploiter l’environnement humain en prenant des repas sanguins sur l’homme et en se développant dans des gîtes larvaires créés par l’homme.
Aedes aegypti (Linneaus, 1762) est un moustique d’origine africaine (Failloux et al., 2002 ; Powell et al., 2018). Il se caractérise morphologiquement par la présence d’une lyre de couleur argentée et de deux lignes centrales sur le thorax. En Afrique tropicale, ce moustique est présent sous sa forme forestière, Ae. aegypti formosus, de coloration sombre colonisant principalement des gîtes larvaires d’origine naturelle (creux d’arbres, trous de rochers..). Hors d’Afrique, l’espèce est présente sous forme de populations domestiques dans la région intertropicale : Ae. ae. aegypti y est hautement anthropophile colonisant des gîtes artificiels tels les pots de fleurs, les pneus, les gouttières…
L’histoire d’Ae. aegypti suit celle de l’homme. L’assèchement du Sahara a contraint les populations humaines à fuir les zones arides et à stocker l’eau dans des contenants artificiels lors de leurs déplacements. Ces contenants sont devenus ainsi des sites privilégiés de prolifération des moustiques favorisant la différenciation de moustiques plus adaptés à un environnement « humain ». À l’occasion des vagues successives de migrations humaines, la forme domestique Ae. aegypti aegypti a envahi la ceinture intertropicale et même au-delà : (i) le nouveau monde lors de la traite des esclaves dès le 15e siècle, (ii) le bassin méditerranéen où l’espèce était encore présente dans les ports européens jusqu’en 1950, (iii) l’Asie depuis le bassin méditerranéen dès l’ouverture du canal de Suez en 1869, (iv) et la région du Pacifique Sud dès 1904 (Powell et al., 2018) (Figure 2). Aujourd’hui, le transport d’Ae. ae. aegypti continue sans sens privilégié grâce à l’intensification des échanges commerciaux.
En raison de leur forte domestication, les femelles d’Ae. aegypti pondent leurs œufs dans des gîtes artificiels, tels que des réservoirs d’eau, des pots de fleurs et des pneus usagés. Il a été démontré que les œufs pouvaient résister à la dessiccation pendant au moins un an (Rezende et al., 2008). Les formes pré-imaginales d’Ae. aegypti s’adaptent aussi à des conditions climatiques extrêmes : les larves peuvent rester viables à très basses températures et certaines populations se maintiennent à des températures de plus de 40 °C.
Aedes albopictus (Skuse, 1894) ou « moustique tigre », est originaire d’Asie du Sud-Est. Ce moustique, fréquent en Asie, a été décrit pour la première fois à Calcutta en Inde. Avant 1979, Ae. albopictus s’étendait du Pacifique à l’Océan Indien (Madagascar) et il est fort probable qu’Ae. albopictus ait accompagné les vagues successives de colonisation du Sud-Ouest de l’Océan Indien par les peuples d’origine indonésienne (Raharimalala et al., 2012). On le retrouve également en Chine, au Japon et en Corée. L’Europe est touchée à partir de 1979, date à laquelle on le trouve pour la première fois en Albanie, certainement à la suite d’une importation via le commerce de pneus en provenance de Chine (Adhami & Reiter, 1998). En 1990, le moustique est retrouvé à Gênes où il réussit à s’implanter et devient une cause de nuisance en Italie (Dalla Pozza & Majori, 1992). L’espèce est actuellement présente dans 20 pays européens (Medlock et al., 2012) et notamment, dans 51 départements en France (https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/especes-nuisibles-et-parasites/article/cartes-de-presence-du-moustique-tigre-aedes-albopictus-en-france-metropolitaine). Bien que l’espèce ait été identifiée pour la première fois en France en Normandie en 1999 (Schaffner & Karch, 2000), ce n’est que depuis 2004 qu’Ae. albopictus s’est implanté durablement dans le sud-est de la France (Delaunay et al., 2009) (Figure 3).
Ae. albopictus a fini par s’installer aux États-Unis en 1985 (Hawley et al., 1987) puis s’est très vite propagé à travers le pays jusqu’au Mexique. Il a également envahi l’Amérique du Sud et notamment, le Brésil à partir de 1986 (Forattini, 1986). Ae. albopictus a été détecté dans certains pays d’Afrique tels le Nigéria (Savage et al., 1992), le Cameroun (Fontenille & Toto, 2001), le Gabon (Coffinet et al., 2007), l’Afrique du Sud (Cornel & Hunt,1991), la Guinée Équatoriale (Toto et al., 2003). L’aptitude de ce moustique à coloniser de nouvelles aires géographiques et à s’y installer traduit sa grande plasticité écologique. Sa capacité à s’implanter dans des zones tempérées représente une crainte quant à l’introduction des arboviroses que l’espèce peut transmettre. En effet, Ae. albopictus est capable de survivre aux basses températures de l’hiver sous forme d’œufs en diapause qui écloront lors des pluies printanières (Hawley et al., 1987 ; Hanson & Craig, 1994).
Les deux espèces, Ae. aegypti et Ae. albopictus, sont amenées très souvent à partager la même niche écologique, par exemple en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Afrique Centrale et dans la région de l’Océan Indien. Dans certains cas, Ae. albopictus présente une aptitude compétitive supérieure qui le favorise vis-à-vis d’Ae. aegypti (Paupy et al., 2009).
Figure 2 Histoire de la migration du moustique Aedes aegypti à partir du continent africain d’où l’espèce est originaire. (1) La forme ancestrale est présente sous la forme Aedes aegypti formosus dans les forêts tropicales d’Afrique subsaharienne. L’assèchement progressif du Sahara a contraint les populations humaines à fuir les régions arides, emportant avec eux la forme domestique (Aedes aegypti aegypti) vers l’Afrique du Nord, initiant une colonisation des pays du pourtour méditerranéen par ce moustique. (2) À partir du 15e siècle, la traite des esclaves a introduit le moustique domestique dans les Amériques et la Caraïbe. (3) Avec l’ouverture du canal de Suez, Ae. aegypti aegypti a été introduit en Asie. (4) Le moustique a fini par coloniser les îles du Pacifique, invasion parachevée après la seconde guerre mondiale. |
Figure 3 Carte de France indiquant l’aire de distribution d’Aedes albopictus. La date où chaque département a été colonisé par l’espèce est indiquée. Source : Ministère des Solidarités et de la Santé. |
Les moustiques ne sont pas tous vecteurs
On compte au moins 3500 espèces de moustiques et tous ne sont pas vecteurs. Pour transmettre un arbovirus, le moustique doit être génétiquement compétent. La compétence vectorielle est la capacité d’un insecte à ingérer le virus au cours d’un repas de sang, à assurer la réplication virale et à transmettre le virus à un hôte vertébré approprié (Kramer & Ebel, 2003). De façon plus détaillée, le cheminement du virus dans le moustique vecteur comporte plusieurs étapes : (i) ingestion du virus par la femelle lors d’un repas sanguin sur un hôte vertébré en phase de virémie, (ii) entrée du virus dans les cellules épithéliales de l’intestin grâce à un récepteur membranaire, (iii) après réplication, libération des virions néoformés dans l’hémocèle, cavité générale où les organes internes du moustique baignent dans l’hémolymphe, (iv) infection de différents tissus et organes (le tissu nerveux, le corps gras, les organes reproducteurs), (v) infection des glandes salivaires, et (vi) libération du virus par la salive émise par la femelle lors de la piqûre (Figure 4). Le temps qui s’écoule entre l’ingestion du repas infectieux et le moment où le moustique devient apte à transmettre, les particules virales étant présentes dans la salive, correspond à la période d’incubation extrinsèque (PIE) (Ruckert & Ebel, 2018). Ce paramètre est extrêmement important car le moustique doit survivre au-delà de la durée de la PIE pour pouvoir transmettre le virus. De plus, la durée de la PIE dépend de la température : lorsqu’on augmente la température, on diminue la durée de la PIE (Rohani et al., 2009). En d’autres termes, lorsque la température augmente, la transmission aura tendance à augmenter.
L’évaluation de la compétence des vecteurs débute par la récolte de moustiques sur le terrain sous forme d’œufs, larves et nymphes et leur élevage pour obtenir des adultes. Les femelles ainsi obtenues sont infectées grâce à un système utilisant une membrane artificielle couvrant la base d’une capsule contenant le sang infecté maintenu à 37 °C (système Hemotek®). Au terme du repas, seules les femelles complètement gorgées sont incubées jusqu’à leur analyse. Pour définir la compétence du vecteur, trois paramètres sont mesurés : (i) le taux d’infection correspondant à la proportion de moustiques présentant un intestin moyen infecté, (ii) le taux de dissémination se référant à la proportion de femelles capables d’assurer la dissémination virale au-delà de l’intestin moyen (ceci est possible en détectant le virus dans la tête, les pattes ou les ailes des moustiques), et (iii) le taux de transmission représentant la proportion de moustiques portant le virus détecté dans la salive.
La capacité vectorielle, quant à elle, est une mesure de l’efficacité du vecteur à transmettre un agent infectieux en conditions naturelles (Kramer & Ebel, 2003). Elle dépend de facteurs intrinsèques et extrinsèques qui agissent sur la dynamique du cycle de transmission virus-vecteur-hôte vertébré. Parmi les paramètres intrinsèques, on peut citer la compétence vectorielle et la longévité des femelles, de même que leurs préférences trophiques et la fréquence des repas sanguins. Les facteurs extrinsèques regroupent la disponibilité de l’hôte vertébré et son état immunitaire, ainsi que l’abondance de vecteurs. Cette dernière est liée à la température et à la pluviosité ou en d’autres termes, à la saison.
Figure 4 Différentes étapes d’infection du moustique par un arbovirus. Après ingestion du repas sanguin (1), le virus pénètre dans la cellule épithéliale et se multiplie (2). Les virus néoformés sont alors libérés dans la cavité générale du moustique (3) où il infecte différents organes (4). Une fois que les glandes salivaires sont infectées (5), le virus peut être émis avec la salive libérée par le moustique lors d’une piqûre (6). |
Les principales arboviroses liées aux moustiques du genre Aedes
La dengue (Figure 5A)
La dengue est l’arbovirose la plus importante en termes de morbidité et mortalité avec 390 millions de cas chaque année dont 96 millions développant des signes cliniques sévères (Bhatt et al., 2013). Le virus de la dengue (DENV) appartient au genre Flavivirus de la famille des Flaviviridae ; il possède un génome formé d’un simple brin ARN de polarité positive d’une longueur de 11 kb. Quatre sérotypes (DENV-1 à DENV-4) sont principalement décrits, se subdivisant chacun en plusieurs génotypes. L’immunité acquise à la suite de l’infection par l’un des sérotypes confère une immunité protectrice contre le sérotype infectant mais pas contre les autres sérotypes (Vasilakis & Weaver, 2008).
Les tableaux cliniques liés à la dengue vont de la forme asymptomatique, la forme classique (DF pour Dengue Fever) à la dengue hémorragique (DHF pour Dengue Hemorragic Fever). Il est à noter que 80 % des cas d’infections sont asymptomatiques. Demeurant infectés et non malades, ces cas participent activement à la transmission et la diffusion du virus (Duong et al., 2015 ; Ten Bosch et al., 2018).
La dengue sévit principalement dans la région intertropicale. Sa ré-émergence au cours des 50 dernières années est étroitement liée à l’urbanisation, l’intensification des voyages, et une lutte anti-vectorielle inadéquate (Gubler, 2011). Hors des régions traditionnellement endémiques pour la dengue, une transmission autochtone a aujourd’hui été décrite aux États-Unis (Bouri et al., 2012), en France (La Ruche et al., 2010), en Croatie (Gjenero-Margan et al., 2011) et à Madère (Tomasello & Schlagenhauf, 2013), initiée partout par des cas importés.
Ae. aegypti est le vecteur principal de la dengue mais dans des régions où il est absent ou peu fréquent, c’est Ae. albopictus qui joue alors le rôle de vecteur. Il était impliqué dans des épidémies survenues dans les années 1970, aux Seychelles et à la Réunion, et dans les années 2000, à Macao et à Hawaï (Gratz, 2004 ; Effler et al., 2005).
Figure 5 Les quatre arbovirus les plus importants pour la santé humaine : dengue (A), chikungunya (B), Zika (C) et fièvre jaune (D). Sont indiqués les aires de distribution et le lieu/date du premier isolement. |
Le chikungunya (Figure 5B)
Le virus du chikungunya (CHIKV) est un autre arbovirus transmis par Ae. aegypti et Ae. albopictus. Il a été isolé pour la première fois en Tanzanie en 1952. Le CHIKV appartient au genre Alphavirus de la famille des Togaviridae. Son génome est composé d’un simple brin d’ARN de polarité positive d’environ 11,8 kb. Trois génotypes sont décrits : Est-Centre-Sud-africain (ECSA), Ouest-africain et asiatique. Les symptômes de la maladie sont une forte fièvre, des atteintes articulaires, des maux de tête, des douleurs musculaires, une éruption cutanée. Des formes neurologiques graves sont exceptionnellement décrites.
Endémique à l’Afrique et l’Asie, ce virus a émergé en 2004, provoquant des épidémies dans les îles de la région de l’Océan Indien. Dès 2006, le génotype ECSA a été à l’origine des épidémies liées au moustique Ae. albopictus, rarement décrit jusque-là comme vecteur de CHIKV. Il a été démontré qu’un seul changement d’acide aminé au niveau de la glycoprotéine E1 de l’enveloppe virale est à l’origine de cette adaptation (Schuffenecker et al., 2006 ; Tsetsarkin et al., 2007 ; Vazeille et al., 2007).
En octobre 2013, les premiers cas autochtones ont été recensés dans la Caraïbe sur l’île de Saint-Martin. Ae. aegypti est le seul vecteur présent assurant la transmission d’un CHIKV de génotype asiatique. Depuis, près de 46 pays d’Amérique ont été touchés avec plus de 3 millions de personnes atteintes (Yactayo et al., 2016). De façon exceptionnelle, les premiers cas autochtones ont été recensés en Europe : en Italie en 2007, 2017 et en France en 2010, 2014, 2017 (Angelini et al., 2007 ; Tomasello & Schlagenhauf, 2013 ; Venturi et al., 2017) (http://invs.santepubliquefrance.fr/fr../Dossiers-thematiques/Maladies-infectieuses/Maladies-a-transmission-vectorielle/Chikungunya/Donnees-epidemiologiques).
La fièvre jaune (Figure 5C)
Le virus de la fièvre jaune (FJV) est un prototype du genre Flavivirus de la famille des Flaviviridae. Le virus a été isolé pour la première fois en Afrique de l’Ouest en 1927. Son génome est composé d’une molécule d’ARN simple brin de polarité positive d’environ 11 kb. À ce jour, on a décrit 7 génotypes de FJV se différenciant par au plus 9 % de nucléotides. En Afrique, on a répertorié 5 génotypes et seulement deux en Amérique. Les souches d’Amérique du Sud sont phylogénétiquement très proches de celles d’Afrique de l’Ouest suggérant une origine africaine des souches américaines, certainement introduites lors de la traite des esclaves (Bryant et al., 2007).
Les symptômes (fièvre, douleurs musculaires, maux de tête) peuvent alors évoluer vers des formes graves avec survenue d’un syndrome hémorragique. La mort survient dans 50 à 80 % des cas. Chaque année, environ 200 000 cas humains sont recensés dont 90 % en Afrique. Cette région regroupe 34 pays africains et 500 millions d’habitants exposés. Depuis 20 ans, au moins une épidémie est rapportée chaque année dans cette région malgré la disponibilité d’un vaccin efficace, le vaccin 17D.
Sur le continent américain, les premières épidémies de fièvre jaune ont été observées au 17e siècle. Au début du 20e siècle, la détermination du rôle d’Ae. aegypti comme vecteur par le médecin cubain Carlos Finlay, confirmé par la suite par le médecin américain Walter Reed, a permis d’entreprendre le contrôle de la fièvre jaune en éradiquant le moustique. La fondation Rockefeller puis la Pan American Health Organisation (PAHO) parvinrent à contrôler Ae. aegypti dans une grande partie de l’Amérique tropicale. Le cycle urbain de la fièvre jaune n’est plus décrit en Amérique tropicale à partir de 1942. Dans les forêts de l’Amazonie, il n’existe aujourd’hui qu’un cycle selvatique où le virus circule entre des singes américains pouvant mourir de la fièvre jaune et des moustiques zoophiles. L’homme peut occasionnellement contracter le virus par contact avec les vecteurs selvatiques du genre Haemagogus. Depuis les années 1970 où le contrôle d’Ae. aegypti a été interrompu, une ré-introduction massive de cette espèce crée de nouveau une situation très préoccupante qui fait craindre le retour des épidémies de fièvre jaune urbaines en Amérique du Sud. Par ailleurs, Ae. albopictus est arrivé en Amérique récemment : aux États-Unis en 1985 et au Brésil, en 1986. Jusqu’à présent, il n’a pas été prouvé qu’Ae. albopictus pouvait participer à une épidémie de fièvre jaune en Amérique du Sud et notamment, au Brésil mais on sait qu’il est expérimentalement capable de transmettre le FJV (Couto-Lima et al., 2017 ; Amraoui et al., 2018). Il pourrait jouer un rôle dans le processus d’épidémisation urbaine de la fièvre jaune en servant d’intermédiaire entre le cycle selvatique et un potentiel cycle urbain.
En Afrique de l’Ouest, Ae. aegypti a été impliqué dans la transmission de la fièvre jaune urbaine alors qu’il ne l’est pas en Afrique de l’Est et du Centre où des moustiques du complexe Aedes simpsoni sont plutôt incriminés. Le principal vecteur forestier en Afrique est Aedes africanus qui assure la transmission de la fièvre jaune à l’homme.
La dernière pandémie : le Zika (Figure 5D)
Le virus Zika (ZIKV) a été isolé en 1947 de la forêt Zika en Ouganda d’un singe rhésus durant une campagne de surveillance des vecteurs de la fièvre jaune. Il a été également isolé de moustiques zoophiles, Ae. africanus. Les premiers cas humains ont été signalés seulement cinq ans plus tard, en 1952 (Fauci & Morens, 2016). ZIKV est un Flavivirus de la famille des Flaviviridés comme la dengue et la fièvre jaune. Le génome est une molécule d’ARN simple brin de polarité positive d’environ 11–12 kb. Il existe trois génotypes : Est-africain, Ouest-africain et asiatique.
Il est décrit dans les régions tropicales d’Asie du Sud-Est et d’Afrique. Les symptômes sont une fièvre, des éruptions maculo-papuleuses, des myalgies et arthralgies. Toutes les manifestations disparaissent en une semaine au maximum. Des cas de syndrome de Guillain-Barré et de microcéphalies des nouveau-nés ont été rapportés lors des dernières épidémies (Rasmussen et al., 2016).
ZIKV a émergé dans le Pacifique, sur l’île de Yap (Micronésie) en 2007 (Duffy et al., 2009) puis en Polynésie française en 2013 et autres îles du Pacifique (Musso et al., 2014). En 2015, les premiers cas symptomatiques ont été décrits au Brésil et le virus s’est ensuite propagé dans une grande partie de l’Amérique latine et les Caraïbes (Faria et al., 2016). Le virus semble avoir été introduit à plusieurs reprises en 2013 ou 2014 par des voyageurs virémiques (Faria et al., 2016). Le vecteur majeur est Ae. aegypti car il satisfait à quatre critères clés : (i) forte anthropophilie (i.e. pique principalement l’homme), (ii) espèce d’écologie urbaine vivant dans l’environnement humain, (iii) détection de moustiques naturellement infectés par ZIKV (Ferreira-de-Brito et al., 2016), et (iv) transmission expérimentale par le moustique (Chouin-Carneiro et al., 2016). En évaluant la compétence vectorielle de différentes populations d’Ae. aegypti provenant de Martinique, Guadeloupe, Guyane française, États-Unis, Brésil vis-à-vis du ZIKV de génotype asiatique, on note que le virus se dissémine dans la cavité générale du moustique dès le 4e jour après l’infection (Chouin-Carneiro et al., 2016). Quant à Ae. albopictus, cette espèce assure une moins bonne dissémination virale. Contre toute attente, les deux espèces présentent une faible capacité à transmettre le virus avec moins de 10 % des moustiques contenant du virus dans la salive, 14 jours après l’infection (Chouin-Carneiro et al., 2016) (Figure 6). Par ailleurs, la communauté scientifique s’est mobilisée pour s’interroger sur le rôle potentiel du moustique Culex quinquefasciatus fortement présent en milieux urbains (Roundy et al., 2017). L’infection par voie orale ou inoculation intra-thoracique ne permet pas de démontrer la transmission du ZIKV par les moustiques Culex (pipiens et quinquefasciatus) (Amraoui et al., 2016). Par ailleurs, les Culex infectés par ZIKV ne sont pas capables de déclencher la voie ARN interférence qui est la voie antivirale majeure ; aucuns petits ARN ciblant spécifiquement ZIKV n’ont été détectés chez Culex (Lourenço-de-Oliveira & Failloux, 2017). Donc, Cx. pipiens et Cx. quinquefasciatus ne sont pas vecteurs de ZIKV.
Hormis l’Europe, ZIKV a été présent sur tous les continents. Quel pouvait être le risque pour l’Europe à la saison d’activité du moustique Ae. albopictus ? La plus forte probabilité d’introduction viendrait de voyageurs de retour des départements français d’Amérique où ZIKV était présent (Martinique, Guadeloupe, Guyane française). En testant la compétence vectorielle d’Ae. albopictus de France vis-à-vis du ZIKV de génotype asiatique, il a été démontré qu’Ae. albopictus pouvait disséminer le virus dès le 9e jour après infection mais ne transmettait qu’au 14e jour (Lourenço-de-Oliveira & Failloux, 2017) (Figure 7). Ainsi, les populations d’Ae. albopictus du Sud de la France ne deviennent infectantes que deux semaines après l’infection. Pour rappel, pour Ae. albopictus, la durée de la PIE est de 4–10 jours avec le DENV (Xiao et al., 2014) et de 2–3 jours avec le CHIKV (Dubrulle et al., 2009). Par conséquent, Ae. albopictus de France est moins sensible au ZIKV et le risque d’une transmission autochtone de ZIKV en France et plus largement, en Europe, est relativement faible (Di Luca et al., 2016 ; Jupille et al., 2016).
Figure 6 Infection, dissémination et transmission du virus Zika par Aedes aegypti et Aedes albopictus. Les moustiques sont examinés 14 jours après la prise d’un repas sanguin proposé à un titre de 107 TCID50/mL. Source : Chouin-Carneiro et al. (2016). |
Figure 7 Compétence vectorielle d’Aedes albopictus de France pour le virus Zika. L’infection, la dissémination et la transmission du virus sont examinés 3, 6, 9, et 14 jours après la prise d’un repas sanguin proposé à un titre de 107 TCID50/mL. Source : Jupille et al. (2016). |
Conclusion
Au cours de ces dernières décennies, le volume des échanges intercontinentaux de marchandises et de passagers a augmenté. Cette mondialisation a contribué à la propagation des agents pathogènes, de leurs vecteurs et de leurs hôtes, aggravant la situation des maladies à transmission vectorielle dans les pays déjà affectés et les introduisant dans les pays occidentaux. Les effets de ces changements globaux n’en sont qu’à leurs débuts. Les villes actuelles qui concentrent plus de la moitié de l’humanité et où règnent les conditions propices au développement des moustiques vecteurs sont des bombes à retardement. En l’absence de vaccins et de traitements spécifiques, le contrôle des vecteurs reste l’ultime action à mener. Néanmoins, les mesures actuelles de lutte contre les vecteurs sont globalement inefficaces, ouvrant ainsi des champs d’étude sur des méthodes alternatives qui restent encore à être éprouvées.
Remerciements
Les travaux sur Zika ont reçu un financement de l’Union Européenne (H2020, ZIKAlliance grant agreement no. 734548).
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Citation de l’article : Failloux, A.-B. (2018). Les moustiques vecteurs d’arbovirus : une histoire sans fin. Biologie Aujourd'hui, 212, 89-99
Liste des figures
Figure 1 Les différentes étapes dans l’émergence d’un arbovirus. (1) Introduction d’un nouvel arbovirus dans une région où la population humaine est immunologiquement naïve, initiant des épidémies urbaines. (2) Spillback avec retour du virus dans un environnement « sauvage » où il circule entre des animaux sauvages (dont les primates non humains) et des moustiques zoophiles ; l’homme est généralement exclu de ce cycle. (3) Spillover avec sortie du virus du cycle sauvage pour initier un cycle urbain entretenu par des moustiques anthropophiles et dont l’hôte vertébré est principalement l’homme. |
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Figure 2 Histoire de la migration du moustique Aedes aegypti à partir du continent africain d’où l’espèce est originaire. (1) La forme ancestrale est présente sous la forme Aedes aegypti formosus dans les forêts tropicales d’Afrique subsaharienne. L’assèchement progressif du Sahara a contraint les populations humaines à fuir les régions arides, emportant avec eux la forme domestique (Aedes aegypti aegypti) vers l’Afrique du Nord, initiant une colonisation des pays du pourtour méditerranéen par ce moustique. (2) À partir du 15e siècle, la traite des esclaves a introduit le moustique domestique dans les Amériques et la Caraïbe. (3) Avec l’ouverture du canal de Suez, Ae. aegypti aegypti a été introduit en Asie. (4) Le moustique a fini par coloniser les îles du Pacifique, invasion parachevée après la seconde guerre mondiale. |
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Figure 3 Carte de France indiquant l’aire de distribution d’Aedes albopictus. La date où chaque département a été colonisé par l’espèce est indiquée. Source : Ministère des Solidarités et de la Santé. |
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Figure 4 Différentes étapes d’infection du moustique par un arbovirus. Après ingestion du repas sanguin (1), le virus pénètre dans la cellule épithéliale et se multiplie (2). Les virus néoformés sont alors libérés dans la cavité générale du moustique (3) où il infecte différents organes (4). Une fois que les glandes salivaires sont infectées (5), le virus peut être émis avec la salive libérée par le moustique lors d’une piqûre (6). |
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Figure 5 Les quatre arbovirus les plus importants pour la santé humaine : dengue (A), chikungunya (B), Zika (C) et fièvre jaune (D). Sont indiqués les aires de distribution et le lieu/date du premier isolement. |
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Figure 6 Infection, dissémination et transmission du virus Zika par Aedes aegypti et Aedes albopictus. Les moustiques sont examinés 14 jours après la prise d’un repas sanguin proposé à un titre de 107 TCID50/mL. Source : Chouin-Carneiro et al. (2016). |
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Figure 7 Compétence vectorielle d’Aedes albopictus de France pour le virus Zika. L’infection, la dissémination et la transmission du virus sont examinés 3, 6, 9, et 14 jours après la prise d’un repas sanguin proposé à un titre de 107 TCID50/mL. Source : Jupille et al. (2016). |
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