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Numéro
Biologie Aujourd'hui
Volume 212, Numéro 3-4, 2018
Page(s) 85 - 87
DOI https://doi.org/10.1051/jbio/2018027
Publié en ligne 11 avril 2019

© Société de Biologie, 2019

Le pronostic du carcinome hépatocellulaire (CHC) avancé est longtemps resté très défavorable en raison de l’absence de traitement systémique efficace et de la toxicité des chimiothérapies chez des patients le plus souvent cirrhotiques. Le sorafenib, un inhibiteur de multiples kinases (TKI) a été pendant plus de 10 ans le seul médicament approuvé sur le plan international pour cette maladie avec un bénéfice de survie d’à peine trois mois. Alors que de nombreux essais utilisant d’autres monothérapies TKI, seules ou en combinaisons, ont échoué à montrer un bénéfice supplémentaire en termes en survie et/ou de toxicité par rapport au traitement de référence, une étape majeure vient d’être franchie au cours des derniers mois.

En première ligne, le lenvatinib, un médicament de la même famille (TKI) et actif par voie orale, a montré dans une étude de phase III randomisée (REFLECT) une noninfériorité par rapport au sorafenib (OS : 13,6 vs. 12,3 mois ; PFS : 7,4 mois (6,9–8,8) ; HR : 0,92 95 %, CI ; 0,79–1,06) (Kudo et al., 2018). Un bénéfice a également été observé en termes de survie sans progression (PFS : 7,4 mois (6,9–8,8)), de taux de réponse (RR : 19 %). La tolérance a été jugée satisfaisante (hypertension artérielle, protéinurie, hypothyroïdie) comparée à celle du sorafenib (diarrhée, syndrome main-pied). Ces résultats ont permis un enregistrement rapide de cette molécule dans le monde (incluant la France depuis quelques semaines) en traitement de première ligne du CHC avancé au même titre que le sorafenib.

Le carcinome hépatocellulaire apparaît et se développe dans la grande majorité des cas dans un foie cirrhotique, quelle qu’en soit l’origine (virale, métabolique, alcoolique, auto-immune ou génétique). Le microenvironnement autour de cette tumeur est en général tolérogène et la tumeur elle-même présente des propriétés immunosuppressives (suppression des CD4/CD8 par les cellules TReg, régulation négative par la voie des PD1/PD-L1, infiltration par des cellules dérivées de la moelle (MDSC), altération du processing et de la présentation des antigènes tumoraux, faible réponse CD4 +). Cette « immunosuppression » hépatique acquise a justifié les premiers essais d’immunothérapie destinés à restaurer une immunité anti-tumorale.

Des résultats encourageants ont été obtenus dans une étude d’immunothérapie de phase I/II (CHECKMATE 040) (RR : 20 % ; OS : 28,6 mois) (El-Khoueiry et al., 2017) en utilisant le nivolumab chez un groupe de patients n’ayant pas reçu de sorafenib. Les résultats de l’étude de phase III comparant le sorafenib et le nivolumab (CHECKMATE 459) n’ont pas encore été rapportés, rendant difficile le positionnement de l’immunothérapie dans cette indication.

Toujours dans le domaine de l’immunothérapie, présentés il y a quelques mois puis mis à jour récemment (Pishvaian et al., 2018), les résultats de l’étude de phase Ib GO30140 utilisant la combinaison de l’atezolizumab (anticorps anti-PD-L1) et du bevacizumab (anticorps anti-VEGF) ont montré une RR globale de 32 % et une PFS de 14,9 mois (0,5–23,9). Ces résultats ont justifié le lancement d’une étude internationale de phase III (IMbrave150) comparant la combinaison atezolizumab et bevacizumab au sorafenib en première ligne.

Une autre combinaison d’immunothérapie utilisant le durvalumab (anticorps anti-PDL1) et le tremelilumab (anticorps anti-CTLA4) (Abou-Alfa et al., 2018a) avait déjà apporté un bénéfice en termes de RR (25 % contre en moyenne 6,5 % pour l’ensemble des études utilisant le sorafenib). Une étude de phase III comparant le durvalumab seul ou combiné au tremelilimab avec le sorafenib est en cours (HIMALAYA) à la suite de ces résultats. Enfin, une autre étude de phase 1b combinant une immunothérapie (pembrolizumab) et un traitement ciblé TKI (lenvatinib) a récemment montré des résultats très prometteurs en termes de RR à 42 % et de PFS à 9,7 mois (Ikeda et al., 2018) justifiant également le lancement d’une étude de phase III de traitement en première ligne du CHC avancé.

En deuxième ligne, le regorafenib, une TKI proche du sorafenib a été approuvé en 2017 à la suite de l’étude RESORCE montrant un bénéfice en termes de survie par rapport au placebo (10,6 vs. 7,8 mois ; HR : 0,63, 95 % CI ; 0,50–0,79) avec une tolérance satisfaisante (HTA, fatigue, diarrhée, syndrome main-pied) (Bruix et al., 2017). Plus récemment, le cabozantinib, un inhibiteur de MET, VEGFR et AXL ont montré dans une étude de phase III (CELESTIAL) un bénéfice en terme de survie (10,2 vs. 8,0 mois, HR 0,76, 95 % CI ; 0,63–0,92, p = 0,0049) et de PFS (5,2 vs. 1,9 mois, HR : 0,44 CI ; 0,36–0,52, p < 0,0001) par rapport au placebo, chez des patients ayant déjà reçu du sorafenib, avec une tolérance acceptable (HTA, syndrome main-pied, cytolyse hépatique et diarrhée) (Abou-Alfa et al., 2018b). Ce médicament vient d’obtenir un enregistrement dans le monde (incluant la France) en 2e (et 3e ligne) de traitement du CHC avancé. Enfin, deux études de phase III (REACH puis REACH-2) utilisant le ramucirumab, un anticorps monoclonal ciblant le VEGFR-2, viennent de montrer un bénéfice en termes de survie (8,5 vs. 7,3 mois, p = 0,0199), de PFS (2,8 vs. 1,6 mois, p < 0,0001) et de contrôle de la maladie (59,9 % vs. 38,8 %) par rapport au placebo, chez les patients ayant reçu du sorafenib et ayant une concentration initiale élevée d’alpha-fœtoprotéine (>400 ng/ml) (Zhu et al., 2015, 2016 et 2018a). Ce traitement, qui est le premier basé sur un biomarqueur, n’a pas encore été enregistré dans cette indication.

Dans le domaine de l’immunothérapie, les résultats de l’étude de phase I/II CHECKMATE 040 (cf. supra) (RR : 15 % (6–28) ; PFS : 4 mois (2,9–5,4) et OS : 15 mois (9,6–20,2)) dans le sous-groupe de patients ayant reçu du sorafenib ont permis l’enregistrement de cette molécule aux USA en 2e ligne mais pas en Europe. Parallèlement, une étude de phase II utilisant le pembrolizumab, un anticorps anti-PD1 (KEYNOTE-224) a montré un bénéfice en termes de RR à 16,3 % (95 % CI ;  9, 8–24,9 %) dont une réponse complète (Zhu et al., 2018b). La médiane de survie sans progression a été 4,9 mois (3,4–7,2) et la médiane de survie de 12,9 mois (9,7–15,5) avec une tolérance satisfaisante (cytolyse hépatique dont 3 % d’hépatite auto-immune et fatigue ; 5 % justifiant un arrêt du traitement) légitimant une étude de phase III (KEYNOTE-240) dans cette indication en 2e ligne. Plus récemment encore, une autre immuno-monothérapie utilisant le camrelizumab a montré des résultats similaires (RR : 14 %, PFS : 2,3 mois et OS : 14,4 mois) (Qin et al., 2018) confirmant qu’il s’agit bien de résultats liés à une nouvelle classe thérapeutique et non à une propriété de médicaments isolés.

En conclusion, une avancée considérable a été obtenue dans les 18 derniers mois en termes de traitements du CHC avancé avec de nouvelles molécules et surtout grâce à l’apport de l’immunothérapie avec des survies inhabituellement prolongées. Les résultats des deux études de phase III en première (nivolumab) et deuxième ligne (pembrolizumab), attendus avec impatience dans les prochains mois, pourraient remettre à plat l’ensemble de l’algorithme thérapeutique du CHC avancé.

Enfin, en raison de leur bénéfice important en termes de réponse tumorale, les combinaisons thérapeutiques puissantes (thérapies ciblées et immunothérapie) sont à l’évidence la meilleure perspective. Elles devront probablement être proposées plus tôt après l’échec des traitements locorégionaux (voire en association) chez des patients toujours rigoureusement sélectionnés sur leur fonction hépatique et leur état général.

Abréviations

ASCO : American Society of Clinical Oncology

AXL : Tyrosine kinase du récepteur de surface AXL, fait partie de la famille des TAM kinases

CHC : Carcinome Hépato-Cellulaire

CI : Intervalle de confiance (Confidence Interval)

ESMO : European Society for Medical Oncology

HR : Rapport de risques (Hazard Ratio)

MET : Tyrosine-protéine kinase C-Met (ou HGFR, Hepatocyte Growth Factor Receptor)

OS : Survie globale (Overall Survival)

PFS : Survie sans progression (Progression Free Survival)

RR : Taux de réponse (Response Rate)

TKI : Inhibiteur de kinases

VEGF : Vascular endothelial growth factor

VEGFR : Récepteur du VEGF

Références

Références

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Citation de l’article : Fartoux, L. et Rosmorduc, O. (2018). Traitement du carcinome hépatocellulaire avancé : une deuxième révolution avec l’immunothérapie. Biologie Aujourd'hui, 212, 85-87

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