Numéro |
Biologie Aujourd’hui
Volume 215, Numéro 1-2, 2021
|
|
---|---|---|
Page(s) | 59 - 62 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2021001 | |
Publié en ligne | 16 août 2021 |
Article
Paul Bert : le brillant élève de Claude Bernard
Institut de la Vision, INSERM,
17 rue Moreau,
75012
Paris, France
* Auteur correspondant : william.rostene@inserm.fr
Reçu :
13
Décembre
2020
Paul Bert fut le troisième président de la Société de Biologie, succédant ainsi à Pierre Rayer et à son Maître, Claude Bernard. Bien que la Société de Biologie ait déjà rendu hommage à Paul Bert en 2006 dans son Journal (tome 200, no 3), en cette année 2020 où nous célébrons le 150e anniversaire de la création de la IIIe République, nous allons montrer dans cet article comment Paul Bert, et la Science à travers lui, ont joué un rôle fondamental dans le développement scientifique, industriel et politique de notre pays.
Si Claude Bernard a eu une influence sur ses élèves, il leur aura laissé ce qu’il y a de plus précieux en recherche, la liberté, celle qui permet d’avoir des idées nouvelles sans être influencé par celles des autres. Claude Bernard n’a-t-il pas dit que « la recherche doit rester anti-doctrinale, libre et indépendante par essence. La médecine expérimentale ne doit se rattacher à aucun système philosophique, car les systèmes ne sont point dans la nature mais seulement dans l’esprit des hommes. Je pense que le meilleur système philosophique consiste à ne pas en avoir ». Ces mots ont sans doute guidé la double carrière de Paul Bert, celle d’un chercheur exceptionnel et d’un homme politique de premier plan, qui, par sa force de travail, sa fougue, son éloquence et ses qualités de visionnaire, a marqué la seconde partie du XIXe siècle.
Paul Bert (Figure 1) est né à Auxerre, région viticole comme celle de Claude Bernard, en 1833. Destiné à une carrière d’avocat, il vient à Paris terminer ses études de droit. Une rencontre avec l’anthropologue Pierre Gratiolet, qui travaille sur les grands singes, va le mener vers une autre direction : la biologie. À la suite d’une magistrale conférence de Claude Bernard au château de Compiègne en 1865 sur invitation de l’Empereur Napoléon III, le Maître obtient un poste de préparateur. C’est ainsi que Paul Bert devient l’assistant du grand physiologiste au Collège de France.
Paul Bert : le scientifique
Paul Bert passe trois doctorats. Un doctorat en droit, qui lui sera utile dans son action politique, puis en médecine, sur un sujet saugrenu pour l’époque, la greffe animale, et enfin un dernier en sciences, réalisé dans le laboratoire de Claude Bernard, sur les gaz du sang et la respiration. En 1878, année de la mort de Claude Bernard, il publie son œuvre maîtresse : La Pression Barométrique, un travail relatant 670 expériences qui n’ont jamais été remises en question. Elles posent les bases de trois grandes avancées scientifiques et médicales auxquelles son nom est désormais associé :
-
l’observation d’une diminution de la pression en oxygène en fonction de l’altitude, découverte dont les applications sont à la base du contrôle de la pressurisation de nos avions actuels ;
-
le développement des premiers scaphandres autonomes, qui permettra de sauver nombre de vies − la toxicité de l’oxygène pressurisé est décrite dans le monde entier comme « l’effet Paul Bert ou l’ivresse des profondeurs », phénomène le plus redoutable et le plus connu des amateurs de plongée sous-marine ;
-
enfin, ses travaux sur les gaz du sang, qui ont abouti à la mise au point des premiers mélanges gazeux comme anesthésiques lors d’opérations chirurgicales.
Plus précisément, c’est en recensant les observations sur le « mal des montagnes » relatées par les alpinistes et les aéronautes qu’il conçoit dans le laboratoire un système permettant d’étudier le comportement d’oiseaux placés sous une cloche en verre, en fonction des variations de la pression barométrique (Figure 2). Alors que la pression en oxygène diminue avec l’altitude, à l’inverse elle augmente lors de plongées en grande profondeur. Par ce procédé, les observations de Paul Bert ont permis de comprendre les phénomènes physiologiques intervenant lors d’accidents ascensionnels ou de plongée, ceux dits de décompression. Ses travaux sur les effets des variations de la pression barométrique sur la respiration ont aujourd’hui des retombées majeures en médecine aéronautique et pendant un séjour hyperbare (plongée et creusement de tunnels par exemple). En 2019, le prix Nobel de Médecine a récompensé des travaux portant justement sur ce thème de la sensibilité cellulaire à l’oxygène. Si Paul Bert vivait encore, il aurait certainement pu en être co-lauréat.
Une dernière application des travaux de Paul Bert dans le laboratoire de Claude Bernard et dans le sien à la Sorbonne puis au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris − où il retrouve sa première passion, la botanique – concerne le développement d’un mélange de gaz, le protoxyde d’azote en légère surpression avec une quantité d’oxygène suffisante, comme anesthésique pour réaliser des opérations chirurgicales assez longues, ce qui n’était pas le cas auparavant.
![]() |
Figure 2 Schéma d’expérience sur les effets des modifications de la pression barométrique (extrait de La Pression Barométrique, Éditions Masson, 1878). |
Paul Bert : l’homme politique
La déroute française lors de la guerre contre les Prussiens en 1870 marque un tournant fondamental dans la vie de Paul Bert. Sans négliger pour autant ses travaux scientifiques, il s’investit dans la vie politique auprès de Léon Gambetta, et devient député de l’Yonne en 1872. N’était-il pas le mieux placé pour s’intégrer à l’équipe des fondateurs de la IIIe République, la « République des savants », et se consacrer plus spécifiquement aux questions relatives à la science et à l’éducation ?
Claude Bernard, malgré toute l’estime qu’il avait pour « son fils spirituel, son plus brillant élève », lui qui voulait rester à l’écart de tout ce qui pouvait le faire dévier de son travail scientifique, a eu beaucoup de mal à comprendre ce revirement : « abandonner la physiologie c’est commettre une trahison » a-t-il écrit à Paul Bert. Pourtant, nous le verrons, Paul Bert n’a jamais trahi ni son Maître ni ses collègues.
Comme la plupart des hommes de gauche de cette époque, Paul Bert croit en un certain scientisme, issu de la doctrine positiviste d’Auguste Comte, considérant que tout progrès social, économique et industriel repose sur les apports des découvertes scientifiques. Même si nous ne sommes plus au temps de la « République des savants » prônée par Paul Bert, cette question n’est-elle pas toujours d’une brûlante actualité au regard de l’indépendance technologique et des capacités d’innovation de la France par rapport à la mondialisation et à la concurrence d’autres pays, et maintenant dans la crise sanitaire de la Covid où les scientifiques ont un rôle majeur dans certaines décisions politiques ?
Cela nous conduit à l’autre facette de Paul Bert pour laquelle son nom est principalement connu. Anticlérical, là aussi comme la plupart des hommes de gauche de l’époque, il va se trouver en première ligne dans l’affrontement avec l’Église, en particulier avec les Jésuites, qui avaient la mainmise sur l’éducation. Une Église, dont il faut se souvenir qu’elle refusait à cette époque à la fois tous les grands principes hérités de 1789, à commencer par la liberté de conscience et l’enseignement des Sciences − en particulier les théories de l’évolution de Darwin – et qui, par ailleurs, refusait aux filles l’accès à l’enseignement secondaire. Attitude difficilement tolérable pour un homme de science, ardent républicain et par surcroît père de trois filles…
Après la députation, sa nomination en tant que Ministre de l’Instruction Publique et des Cultes sous le gouvernement de Gambetta (qui ne dura que neuf semaines, de novembre 1881 à janvier 1882) va lui permettre de défendre avec fougue et de faire voter les lois qui sont à la base de notre système éducatif actuel. En effet, plus encore que Jules Ferry, à qui on en attribue le mérite, Paul Bert est le véritable artisan de l’école laïque, gratuite et obligatoire. Il fut le rapporteur de la loi. On lui doit aussi l’introduction de l’enseignement des sciences en primaire (les premiers livres scolaires de sciences présentant, comme tous les manuels jusqu’à une période relativement récente, une classification des espèces et leurs différences) (Figure 3), la création du certificat d’études pour que tous les élèves aient un même niveau d’éducation, une véritable révolution : l’entrée des jeunes filles dans l’enseignement secondaire, et enfin une éducation identique et de haut niveau pour tous « Une école de la République ! Une école où tous les enfants de France seraient accueillis sans distinction d’origine, recevraient le même enseignement, deviendraient des citoyens égaux en droits et en devoirs, élevés dans le culte de la Patrie. L’école c’est notre Église à nous ».
L’instauration en 1882 du principe de laïcité à l’école, dont Paul Bert fut le plus ardent défenseur, prépare et annonce la loi de 1905 qui marque la séparation des Églises et de l’État. Pour Paul Bert, la laïcité n’est ni l’ennemie des religions, ni l’athéisme, mais le refus du cléricalisme, c’est-à-dire le refus de la volonté d’emprise d’une religion sur toutes les consciences par des moyens politiques. Est-ce aussi par crainte de la mainmise d’une communauté (dans le cas présent l’Église) sur les jeunes filles, que le droit de vote n’a pas été instauré pour les femmes alors que cette période était pleine d’idées nouvelles ? Comme nous le savons, la laïcité, exception française, est encore un sujet d’une grande actualité.
La vision de Paul Bert sur la politique et ses prises de position parfois outrancières étaient sans doute trop en avance pour la société de l’époque. Aussi, le Président du Conseil, Charles de Freycinet, le nomme en février 1886, Résident Général en Annam et au Tonkin, sans doute pour se débarrasser d’une personnalité encombrante.
Paul Bert pense qu’il faut respecter les coutumes, la langue et la religion des populations, appliquant en cela le même principe de laïcité pour lequel il s’était battu en métropole. Il crée ainsi une Académie franco-annamite et des comités conjoints pour discuter des orientations nécessaires au progrès de ces pays. Toutes ces mesures de conciliation sont en rupture avec la politique brutale qui avait été jusque-là appliquée dans les colonies, en particulier celle de Jules Ferry. Il pose déjà un problème qui va devenir l’un des plus aigus de notre temps : le droit de vivre ensemble dans le respect de la différence.
Paul Bert savait que l’Indochine comportait des risques pour sa santé. Il n’eut pas le temps de faire aboutir, comme il l’aurait souhaité, toutes ces idées d’avant-garde. Malade six mois après son arrivée au Tonkin, il décède de dysenterie à Hanoï le 11 novembre 1886. Ses funérailles nationales sont célébrées à Auxerre, sa ville natale, le 15 janvier 1887, et son ami, le célèbre sculpteur Bartholdi, dresse à sa mémoire un édifiant monument funéraire. Plus tard, une souscription nationale permettra d’ériger une statue en son honneur sur le pont qui traverse l’Yonne à Auxerre et qui porte son nom (Figure 4).
![]() |
Figure 3 Un des premiers manuels scolaires de biologie de Paul Bert. |
![]() |
Figure 4 Statue de Paul Bert sur le pont qui traverse l’Yonne à Auxerre. |
Paul Bert : l’ardent défenseur de la recherche biomédicale
À la mort de Claude Bernard en février 1878, Paul Bert vient en aide à ses collègues et à la communauté scientifique. Député, il obtient que des funérailles nationales soient célébrées pour honorer le grand physiologiste. Claude Bernard fut ainsi le premier scientifique à avoir des funérailles nationales. Il crée l’École des Hautes Études Pratiques où son collègue Arsène d’Arsonval obtient un laboratoire. Il propose la nomination d’Albert Dastre pour succéder à Claude Bernard à la Chaire au Collège de France. Il aidera Louis Pasteur à obtenir une pension lui permettant de poursuivre ses recherches en France. Il se fait l’écho auprès des politiques de la « douleur du savant qui, faute de moyens, est obligé de renoncer à certaines recherches ». Enfin, Paul Bert fut le premier à s’élever de toutes ses forces contre l’expérimentation humaine inutile. En prenant l’opinion publique à témoin, il publie dans Le Voltaire du 22 juillet 1885 le premier article de bioéthique. Pour montrer s’il en est besoin, l’attachement de Paul Bert à son Maître Claude Bernard, citons l’hommage qu’il lui a rendu en prenant sa succession à la Présidence de la Société de Biologie en 1878.
« Tous vous l’avez connu, et, le connaître, c’était à la fois l’admirer et l’aimer. Laissez-moi penser tout haut et vous dire, en vous remerciant du fond du cœur, que l’une des raisons d’un choix qui m’honore, c’est que vous avez senti que, parmi vous tous, j’avais été, par la perte du Maître, le plus directement, le plus cruellement atteint ».
Pour en savoir plus
- Société Paul Bert. www.societepaulbert.fr. [Google Scholar]
- Soisson, J.P., Paul Bert : l’idéal républicain, Éditions de Bourgogne, 2008. [Google Scholar]
- Rostène, W. (2020). Paul Bert : le fils spirituel de Claude Bernard. J Assos Claude Bernard, (3), 1-4. [Google Scholar]
- Rostène, W., Freu J., L’Héritage de Paul : Paul Bert l’homme des possibles, roman historique, Editions L’Harmattan, 2012. [Google Scholar]
- Rostène, W., Je suis Paul Bert, Éditions Jacques André, 2015. [Google Scholar]
- Dalisson, R., Paul Bert : l’inventeur de l’école laïque, Éditions Armand Colin, 2015. [Google Scholar]
Citation de l’article : Rostène, W. (2021). Paul Bert : le brillant élève de Claude Bernard. Biologie Aujourd’hui, 215, 59-62
© Société de Biologie, 2021
Liste des figures
![]() |
Figure 1 Buste de Paul Bert dans une salle de Sorbonne Université. |
Dans le texte |
![]() |
Figure 2 Schéma d’expérience sur les effets des modifications de la pression barométrique (extrait de La Pression Barométrique, Éditions Masson, 1878). |
Dans le texte |
![]() |
Figure 3 Un des premiers manuels scolaires de biologie de Paul Bert. |
Dans le texte |
![]() |
Figure 4 Statue de Paul Bert sur le pont qui traverse l’Yonne à Auxerre. |
Dans le texte |
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.