Numéro |
Biologie Aujourd’hui
Volume 213, Numéro 1-2, 2019
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Page(s) | 35 - 41 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2019019 | |
Publié en ligne | 5 juillet 2019 |
Article
Migraine : données épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques
Migraine epidemiological, clinical and therapeutic data
Centre d’Urgence des Céphalées, AP–HP, Hôpital Lariboisière,
75010
Paris, France
* Auteur correspondant : caroline.roos@aphp.fr
Reçu :
6
Juin
2019
La migraine a une prévalence estimée entre 10 et 14 %, elle est donc la pathologie neurologique la plus fréquente. Elle concerne une population jeune, dont deux tiers de femmes, et son impact en termes économiques est essentiellement en lien avec les coûts indirects. La migraine peut être épisodique ou chronique en fonction de la fréquence de jours de céphalée (≥ 15 jours par mois). Le diagnostic est posé à l’interrogatoire selon des critères internationaux. La migraine s’explique par une activation du système dit trigéminocervical, avec libération en cascade de neuromédiateurs participant à l’inflammation neurogène et l’activation des neurones de second ordre. La migraine avec aura se manifeste par des symptômes neurologiques, évoluant lors de la marche migraineuse, d’une durée de moins de 60 minutes, expliqués par le phénomène de dépolarisation corticale envahissante. Le traitement comporte deux axes : le traitement de crise par un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) ou un triptan, et le traitement de fond prescrit au cas par cas, les molécules de première intention selon les recommandations françaises étant les bêta-bloquants, puis en cas d’échec, le topiramate, l’oxétorone ou l’amitriptyline.
Abstract
Burden of disease study ranks headache disorders as the second leading cause of years lived with disability worldwide. Migraine has an estimated prevalence of 10 to 14% and is therefore the most common neurological pathology. It concerns young populations, with a female/male ratio of 3/1, and its impact in economic terms is mainly related to indirect costs. Migraine can be episodic or chronic depending on the frequency of headache days (≥ 15 days per month). The diagnosis of migraine is made according to international criteria, which are easy to use, with essential questions to be asked to patients in a logical order and structure. The migraine is explained by an activation of the so-called trigeminocervical system, with release of neuromediators participating in neurogenic inflammation and activation of second-order neurons. Migraine with aura is manifested by neurological symptoms, lasting less than 60 minutes, explained by the phenomenon of cortical spreading depression. Visual symptoms are the most commonly described aura event of migraine, other auras include sensory and speech disturbance. Cortical spreading depression is a slowly propagating wave of near-complete depolarization of neurons and glial cells spreading over the cortex at a speed of ∼3–5 mm/min. First-line acute treatment for migraine consists of nonsteroidal anti-inflammatory drugs (NSAID), triptans and antiemetics. Patients with frequent or chronic headaches warrant prophylactic therapy. Various classes of preventives can be used (β-blockers, tricyclics, antiepileptics), with the choice of therapy tailored to the patient’s risk factors and symptoms. In practice, treatment has two axes: NSAID or triptans for crisis treatment and for background treatment prescribed case by case, the first-intention molecules according to the French recommendations are beta-blockers, then, in case of failure, topiramate, oxetorone or amitriptyline.
Mots clés : migraine sans aura / migraine avec aura / système trigéminocervical / classification internationale des céphalées / traitement de fond
Key words: migraine without aura / migraine with aura / trigeminocervical system / International Classification of Headache Disorders / prophylactic treatment
© Société de Biologie, 2019
Épidémiologie
La migraine, dans le dernier rapport du Global Burden of Disease, est classée en deuxième position en termes du nombre d’années vivant avec la pathologie (Disease et al., 2017). La prévalence de la migraine est estimée entre 10 et 14 % en fonction des pays, et si l’on considère le diagnostic de migraine probable, ne réunissant pas tous les critères, la prévalence augmente jusqu’à 20 % (Stovner et al., 2006). On note une disparité entre les pays riches et les pays pauvres, où la carence martiale est plus fréquente. La migraine débute à n’importe quel âge mais dans 90 % des cas avant 40 ans avec un pic d’incidence qui se situe entre 30 et 40 ans (Lipton et al., 2007). Chez l’enfant, la prévalence est de 5–10 %, sans différence entre les sexes, alors qu’après la puberté, la femme est trois fois plus touchée. La migraine avec aura est moins fréquente (6–10 %) que la migraine sans aura. Les patients peuvent souffrir d’un seul type de migraine ou des deux associés.
Coûts et impact
Le coût global de la migraine a été estimé dans l’étude Eurolight, à travers les réponses à 8412 questionnaires en Europe. En France, il serait de 500 € par patient, porté pour l’essentiel par les coûts indirects (Linde et al., 2012). Toutefois, dans une analyse d’un échantillon de données de la sécurité sociale, portant sur 8639 patients consommant des triptans, le coût annuel direct était de 2463 €, soit 280 € de plus que les témoins et représentant un surcoût d’environ 300 millions d’euros à l’échelle nationale (Donnet et al., 2019). L’estimation des coûts indirects est complexe car elle dépend du type de travail et est basée sur différents indicateurs : baisse de productivité, baisse de production, nombre de jours pour rattraper le travail. Souvent, seuls les arrêts pris en charge par la sécurité sociale sont évalués, et non la prise en compte des jours de carence, ce qui ne permet pas une évaluation précise. Les coûts indirects en rapport avec les arrêts de travail de trois jours ou plus ont été estimés à 1712 € (Donnet et al., 2019). L’impact de la migraine à l’échelle individuelle est mesuré grâce à différentes échelles évaluant à la fois le retentissement pendant la crise mais aussi l’inter-crise. En effet, si jusqu’alors la migraine était définie par des crises entrecoupées de périodes avec retour à la normale, il est démontré que les patients en inter-crises peuvent garder une gêne. Ainsi, Lampl et al., à partir des données de 2959 patients de l’étude Eurolight rapportent que si 54 % restent couchés durant leurs crises, près de 25 % ne sont pas libres de symptômes entre les crises et près de 15 % mettent en place des conduites d’éviction (Lampl et al., 2016). Enfin, les comorbidités anxieuses et dépressives sont fréquentes (50,6 %), et doivent être prises en charge (Lantéri-Minet et al., 2005).
La migraine, devant sa haute fréquence, justifie d’être bien connue pour poser le diagnostic et optimiser la prise en charge, permettant ainsi de limiter les évolutions vers les formes chroniques estimées à 1–3 %, souvent favorisées par le mésusage et la surconsommation d’antalgiques et constituant à elles seules une grande part des dépenses de soins.
Physiopathologie
La physiopathologie de la migraine est complexe, son étude est limitée par l’absence de modèle animal de migraine commune et la difficulté d’étudier le patient au cours d’une crise spontanée.
Caractère génétique
La migraine se caractérise par des crises douloureuses du fait d’une hyperexcitabilité neuronale anormale en rapport avec une prédisposition génétique et environnementale. À ce jour, grâce à des études d’association pangénomiques de grande ampleur, de nombreux gènes de susceptibilité ont été identifiés qui pourraient favoriser l’hyperexcitabilité neuronale et expliquer le caractère héréditaire de la migraine (Rainero et al., 2018). Cependant, leur transmission polygénique et les facteurs environnementaux peuvent moduler l’expression de la maladie. En revanche, pour les migraines hémiplégiques familiales, formes rares de migraine avec aura motrice, la transmission est dominante. Trois gènes ont été identifiés (CACNA1A, ATP1A2 et SCN1A), codant pour des canaux ioniques neuronaux ou gliaux, à l’origine d’une excitabilité neuronale anormale (Russell & Ducros, 2011). Les mutations du gène PRRT2, associées aux dyskinésies paroxystiques et épilepsies infantiles, doivent aussi être recherchées devant une suspicion de migraine hémiplégique.
Origine de la céphalée
Au moment de la crise de migraine, il est établi que le système trigéminovasculaire est activé. Les fibres de la première branche du nerf trijumeau (nerf crânien V), innervant les vaisseaux méningés, participent à l’inflammation dite « neurogène », aseptique, expliquant en partie la céphalée et le caractère pulsatile de la douleur (vasodilatation). Un neurone de deuxième ordre va activer plusieurs noyaux du tronc cérébral, l’hypothalamus et le thalamus (lieu d’intégration de la nociception). Lors de cette phase, plusieurs neuromédiateurs sont libérés, à l’origine d’une cascade d’activation, dont le plus étudié est le CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide), principale cible thérapeutique actuellement en cours de développement. Le système trigéminovasculaire s’intègre dans le complexe dit trigéminocervical, qui comprend des connexions avec le noyau salivaire supérieur et le ganglion sphénopalatin, ainsi que des projections vers la moelle cervicale haute et les racines C1-C2 (expliquant les douleurs cervicales parfois présentes au cours d’une crise de migraine) (Goadsby et al., 2017).
Origine des crises
Le ou les générateurs de la crise ne sont pas clairement définis et l’on oppose l’activation périphérique et l’activation centrale, au niveau de l’hypothalamus et des noyaux du tronc cérébral (mésencéphale et protubérance). En effet, les études récentes en imagerie fonctionnelle confirment une activation centrale au moment de la crise de migraine et les symptômes qui précédent la céphalée (prodromes) sont pour certains modulés par l’hypothalamus (sensation de faim, bâillements).
L’aura migraineuse fait suite à un dysfonctionnement neuronal transitoire en lien avec la dépolarisation corticale envahissante (DCE). Il s’agit d’une dépolarisation plus lente (3 à 4 mm/min) que le phénomène électrique épileptique, allant de proche en proche, de la région occipitale vers les régions temporales, entraînant une oligohémie et favorisant la vasodilatation. La DCE explique la marche migraineuse des symptômes et la somatotopie (aura visuelle, sensitive, puis phasique) classique de l’aura. La DCE entraîne la libération des neuromédiateurs neuronaux, à l’origine de l’activation du système trigéminovasculaire et ainsi de la céphalée (Olsen, 1995).
Facteurs déclenchants
Les facteurs qui peuvent déclencher une crise de migraine sont nombreux mais on note une grande disparité inter-individuelle. La tenue d’un agenda de crises permet de les identifier, en associant leur exposition à la survenue d’une migraine dans les heures qui suivent. D’une façon générale, il faut retenir ce qu’on appelle les changements d’états (émotion, sommeil, hormonal, alimentation). Parfois, la combinaison de plusieurs facteurs est nécessaire (alcool, jeûne et manque de sommeil). Certains patients associent la migraine, du fait des facteurs déclenchants alimentaires, à une pathologie digestive, longtemps renforcée par les anciens termes employés : « crise de foie », « crise d’acétone ».
Clinique
Il s’agit d’une pathologie chronique évoluant par crises récurrentes, espacées par des intervalles libres de céphalée. On parle de migraine épisodique ou de migraine chronique en fonction de la fréquence des crises. Le patient souffrant de migraine chronique présente, depuis au moins 3 mois, plus de 15 jours mensuels de céphalées, dont 8 avec des caractéristiques de migraine. La migraine chronique doit être identifiée pour éviter l’abus d’antalgique associé qui va chroniciser la douleur.
L’ICHD (International Classification of Headache Diseases ; dernière version, ICHD3, en 2018), classe les céphalées dans 3 sous-groupes : primaires, secondaires ou névralgies. La migraine se définit comme une céphalée primaire, le diagnostic est établi à partir de l’interrogatoire basé sur les critères internationaux. On distingue, en fonction du tableau clinique, les migraines sans aura (MSA) et les migraines avec aura (MA).
Migraine sans aura (80–90 % des migraines) (tableau 1)
Le diagnostic est posé quand le patient a eu au moins cinq crises réunissant les critères de l’ICHD. La crise dure de 4 à 72 heures. La céphalée débute progressivement pour atteindre son maximum en quelques heures. Certains patients (environ 15 %) décrivent, dans les heures qui précèdent, des prodromes à type d’hyperphagie, de bâillements itératifs, de somnolence ou au contraire d’hyperactivité, d’irritabilité ou d’euphorie (Karsan et al., 2018). La céphalée peut être de localisation variable, souvent temporo-orbitaire unilatérale, mais certains patients rapportent une crise débutant en latérocervical, puis irradiant en hémicrânie, ou restant préférentiellement en occipitocervical. Au contraire, d’autres patients peuvent avoir une douleur centrée sur la face avec une composante mandibulaire et maxillaire. Au cours d’une même crise, la douleur peut se déplacer d’un coté à l’autre, devenant parfois holocrânienne. Le caractère pulsatile de la douleur, bien que non obligatoire pour le diagnostic, est très évocateur, parfois le patient le rapporte à l’effort ou aux mouvements. L’intensité est modérée à sévère et oblige le patient à interrompre toute activité. Elle est aggravée par les efforts, la lumière (photophobie), le bruit (phonophobie), les odeurs (osmophobie) et soulagée partiellement par le repos au calme dans l’obscurité. Les nausées et/ou vomissements sont très fréquents. L’examen du patient est normal, en dehors parfois d’une allodynie : douleur à la palpation de la zone douloureuse. Cette allodynie peut persister après la phase céphalalgique. Certains migraineux présentent des signes végétatifs au cours de la crise (larmoiement, obstruction nasale), mais la durée de la crise permet de faire la distinction avec l’algie vasculaire de la face. Au décours de la crise, des symptômes peuvent persister, il s’agit des postdromes comportant asthénie, trouble de concentration ou parfois hyperactivité (Bose et al., 2018).
Le diagnostic d’une première crise est, par définition, impossible car il n’y a pas de crises similaires par le passé. Il s’agit du seul cas justifiant une imagerie cérébrale pour éliminer une céphalée secondaire car tous les critères ne sont pas réunis.
Migraine sans aura.
Migraine avec aura (10–20 % des migraines) (tableau 2)
L’aura est une manifestation neurologique, qui précède ou accompagne la céphalée, d’installation progressive (marche migraineuse) et qui ne dure pas plus de 60 minutes. Au décours, l’examen neurologique est normal. La marche migraineuse consiste en l’installation sur au moins 5 minutes des symptômes ou la succession de symptômes différents, ce qui permet de la différencier d’une atteinte vasculaire. Le plus souvent, l’aura se manifeste par des symptômes dits positifs plus que négatifs (déficit). L’aura peut être isolée ou suivie dans l’heure, voire accompagnée, d’une céphalée ayant ou non les caractéristiques migraineuses. Un même patient peut avoir différents types d’auras, cependant 99 % des auras comportent des symptômes visuels. C’est pourquoi, devant une aura sensitive et/ou phasique isolée, des explorations doivent être réalisées. Afin de poser le diagnostic, il faut avoir eu deux épisodes, ainsi toute première aura, même typique, justifie une IRM cérébrale.
On distingue l’aura classique, qui peut être visuelle et/ou sensitive et/ou phasique, l’aura du tronc cérébral et le groupe des migraines hémiplégiques.
Migraine avec aura.
Aura visuelle (99 %)
L’aura visuelle s’installe progressivement et atteint les deux yeux. Elle peut être décrite comme un scotome scintillant, c’est-à-dire une perte de vision progressive dans un champ visuel remplacée par un scintillement, des éclairs, des étoiles lumineuses, une vision tunnellaire, une hémianopsie homonyme latérale ou une vision kaléidoscopique. Parfois, chez l’enfant, il peut y avoir des métamorphopsies (vision déformée), voire des hallucinations visuelles.
Aura sensitive (30 %)
Elle se manifeste le plus souvent par des paresthésies, débutant en distalité pour se propager en proximal suivant la marche migraineuse. Elle touche surtout la main, l’avant-bras et l’hémiface (pourtour de la bouche : chéiro-orale) et plus rarement le membre inférieur. La somatotopie est respectée. D’autres manifestations sont rapportées comme une douleur, une impression de brûlure et plus rarement une hypoesthésie ; s’il s’agit d’une hypopallestésie, il peut être difficile de la différencier d’un déficit moteur.
Aura phasique (20 %)
Les troubles du langage sont plus rares ; ils sont de type dysphasique : manque du mot, dysarthrie, parfois aphasie totale. Certains patients peuvent avoir un bégaiement. Les troubles de compréhension avec fluence préservée sont très rares.
Aura du tronc cérébral (10 %)
Il s’agit d’une variété rare d’aura, se manifestant par des symptômes évoquant une atteinte vertébro-basilaire : troubles visuels et sensitifs bilatéraux, vertige, ataxie, diplopie, troubles de la vigilance allant jusqu’au coma. Ces crises nécessitent, lors de la prise en charge initiale, la pratique d’examens complémentaires, car, compte tenu de leur rareté, il s’agit d’un diagnostic d’exclusion. Il faut alors réaliser une IRM/ARM cérébrale, un électroencéphalogramme, une exploration des vaisseaux du cou et/ou une ponction lombaire (PL) selon les cas, pour éliminer une autre étiologie.
Migraine hémiplégique (6 %)
L’aura de la migraine hémiplégique familiale ou sporadique comporte un déficit moteur uni- ou bilatéral, partiel ou complet, s’associant ou non aux autres troubles (visuels, sensitifs, langage). Des crises très sévères avec hémiplégie prolongée (plusieurs semaines) et troubles de la conscience allant jusqu’au coma surviennent chez 40 % des patients, avec récupération complète. Les patients souffrant de migraines hémiplégiques familiales peuvent présenter d’autres pathologies neurologiques (épilepsie, ataxie cérébelleuse, retard mental). La migraine hémiplégique sera évoquée après avoir écarté les autres diagnostics. Il s’agit donc d’un diagnostic d’élimination, après l’établissement d’un bilan radiologique et biologique normal. Les tests génétiques, à la recherche d’une mutation concernant les gènes connus (CACNA1A, SCNA1, ATP1A2, PRRT2), doivent aussi être réalisés.
Les complications de la migraine
L’état de mal migraineux se définit par une crise prolongée au-delà de 72 heures, l’aura persistante se prolonge au-delà d’une heure avec ou sans céphalée. Pour ces deux entités, il s’agit d’un diagnostic d’exclusion après avoir confirmé la normalité des examens (IRM, PL, ±EEG).
Traitements
L’automédication chez les patients migraineux est fréquente, on estime que 80 % des patients migraineux prennent des traitements non spécifiques les exposant au risque de consommation abusive et de céphalées par abus médicamenteux.
Traitement de crise
Au cours d’une première consultation, une fois le diagnostic confirmé, la prise en charge du patient souffrant de migraine repose sur :
-
l’explication de la pathologie, notamment le caractère bénin même si le retentissement est important ;
-
l’éducation du patient et l’identification des facteurs déclenchants pour les limiter ;
-
l’importance d’un agenda de crise pour connaître la fréquence des crises, leur durée, un possible abus d’antalgique associé.
Le choix du traitement de crise sera dicté par la réponse aux quatre questions suivantes (appelées les quatre questions de l’ANAES) (Lantéri-Minet et al., 2011) :
-
êtes-vous soulagé de manière significative deux heures après la prise ?
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votre traitement est-il bien toléré ?
-
utilisez-vous une seule prise médicamenteuse ?
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la prise de ce traitement vous permet-elle une reprise normale et rapide de vos activités ?
Si la réponse est oui à chacune des questions, il est recommandé de ne pas modifier le traitement de crise, en l’absence de consommation abusive. Toutefois, les antalgiques combinés à de la caféine et les opioïdes (codéine, opium, tramadol, morphine et autres opioïdes forts) ne sont pas recommandés, car ils peuvent induire un abus médicamenteux risquant de chroniciser la migraine, voire une addiction. Ils sont à réserver aux patients ayant des contre-indications absolues aux AINS et aux triptans.
Si la réponse est non à au moins une des questions, le schéma thérapeutique sera le suivant (Lantéri-Minet et al., 2014) :
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en première intention, un AINS ou l’aspirine. En France, seuls l’ibuprofène 400 mg, le kétoprofène 150 mg et l’aspirine dans la forme associée au métoclopramide ont une AMM pour la migraine ;
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sur une même ordonnance, on inscrira un triptan en cas d’échec après 2 heures. Il existe 7 triptans commercialisés ayant l’AMM (sumatriptan, almotriptan, rizatriptan, zolmitriptan, élétriptan, naratriptan et frovatriptan). Il s’agit d’agonistes des récepteurs de la sérotonine 5-HT1B/1D. Ces récepteurs ne sont que très peu présents au niveau coronarien. Les triptans agissent grâce à leur action sur les récepteurs neuronaux notamment au niveau du ganglion trigéminal et, dans une moindre mesure, à leur effet vasoconstricteur. Il n’existe pas d’effet classe et en cas d’échec ou d’intolérance à une molécule, ils devront tous être essayés successivement.Chez les patients ayant une contre-indication à l’AINS, ou chez qui il est inefficace sur deux tiers des crises, le triptan sera pris d’emblée.
Le triptan peut être renouvelé à partir de la 2e heure en cas de réapparition de la céphalée, sans dépasser 2 prises par 24 heures.
Il peut arriver, chez certains patients ayant des crises intenses, de proposer l’association AINS-triptan, et parfois le métoclopramide en comprimé ou en suppositoire si les nausées sont importantes.
En cas d’échec au traitement de crise, il faudra s’assurer de la prise précoce dès le début de la crise, car le patient diffère ou essaye un « simple » paracétamol.
Chez le patient souffrant de migraine avec aura, le triptan doit être pris lors de la survenue de la céphalée pour être efficace. Au moment de l’aura, on propose l’aspirine 1 g ou un AINS, afin d’empêcher la survenue de la céphalée ou de l’écourter. Aucun traitement ne s’est révélé efficace pour limiter la durée de l’aura.
Chez de rares patients (< 10 %) ayant des crises résistantes aux triptans, le tartrate d’ergotamine peut être prescrit (sous forme de gynergène caféine®) ou encore la dihydroergotamine en spray nasal.
Les contre-indications doivent être respectées : insuffisance rénale, intolérance gastrique, maladie inflammatoire digestive et allergie pour les AINS, infarctus du myocarde, angor de Prinzmetal, angor d’effort, syndrome de Wolff Parkinson White, accident vasculaire cérébral ischémique, hypertension artérielle non contrôlée et artériopathie oblitérante des membres inférieurs pour les triptans.
Il existe des associations contre-indiquées avec les triptans, dont certaines sont propres à une molécule. Le risque théorique de syndrome sérotoninergique en cas d’association avec un inhibiteur de la recapture de la sérotonine en fait une précaution d’emploi.
Le patient doit être informé de certains effets indésirables liés aux triptans, qui restent néanmoins mineurs et transitoires : fatigue, somnolence, paresthésies, vertiges et nausées. Chez 2 à 13 % des patients, sont rapportées une sensation de pesanteur ou d’oppression thoracique, une douleur de la mâchoire ou parfois d’un membre. Ces manifestations, appelées « effet triptan », ne doivent pas inquiéter le patient mais peuvent motiver un changement de molécule. De rares cas de spasme coronaire ont été rapportés, mais les études de pharmacovigilance quant au risque coronarien sont rassurantes.
Traitement de fond de la migraine (tableau 3)
Le traitement de fond, appelé aussi prophylactique, a comme objectif de limiter la fréquence, l’intensité et la durée des crises. Il est insuffisamment prescrit (on estime qu’un tiers des patients devrait en bénéficier), ce qui contribue à la survenue de céphalée par abus médicamenteux. Les critères habituellement retenus sont une fréquence de crise ≥ 4 jours par mois (ex. 2 crises de 2 jours), des crises sévères, longues ou répondant mal au traitement de crises (Lantéri-Minet et al., 2014). Au-delà de 8 jours par mois de prise d’antalgiques pour une céphalée, il doit être prescrit. Il existe de nombreuses molécules qui sont utilisées pour un traitement de fond, mais peu sont spécifiques. Pour les molécules issues de la recherche avec une indication exclusivement migraine, les données sont anciennes avec des critères qui souvent ne permettent pas de leur attribuer un grade A (étude randomisée en double aveugle avec, comme critère principal, une diminution de la fréquence des crises de 50 %). Le traitement sera discuté avec le patient et les effets secondaires expliqués pour décider du choix de la molécule. En effet, on considère qu’une durée de 3 mois est nécessaire pour juger de l’efficacité du traitement, le patient devra donc être observant. Il est démontré que près de 50 % des patients vont arrêter leur traitement de fond après un mois (Hepp et al., 2017).
Selon les recommandations françaises, les molécules à privilégier en première intention sont le propranolol et le métoprolol. En cas de contre-indication, d’intolérance ou d’inefficacité de ces bêta-bloquants, le choix de la molécule repose sur le terrain, la comorbidité et la sévérité de la migraine en considérant la balance bénéfice/risque et l’existence d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Le topiramate, l’oxétorone et l’amitriptyline sont les molécules prescrites en seconde intention. Selon la méta-analyse de Jackson et al., l’amitriptyline a la plus grande efficacité en termes de réduction du nombre de jours de migraine (Jackson et al., 2015).
Les doses des traitements prophylactiques sont augmentées lentement afin d’éviter les effets secondaires. La tenue d’un agenda des crises est nécessaire pour évaluer l’efficacité du traitement de fond. En cas d’efficacité, il est poursuivi 6 à 18 mois, puis arrêté avec une surveillance régulière pour s’assurer de l’absence de reprise des crises. En cas d’échec ou d’intolérance, un nouveau traitement doit être essayé. Les traitements de fond ne sont pas associés, sauf parfois à plus faibles posologies dans le but de réduire les effets indésirables respectifs de chaque molécule.
Des traitements de fond non médicamenteux (relaxation, biofeedback, thérapie cognitive et comportementale de gestion du stress, hypnose) ont parfois un intérêt surtout chez les patients anxieux (Lantéri-Minet et al., 2014).
De nombreux autres traitements non pharmacologiques ont été essayés dans la migraine ; l’acupuncture, la stimulation électrique transcutanée (Cefaly®) et la stimulation du nerf vague (Gamacore®) ont démontré une certaine efficacité en traitement de crise ou de fond, mais méritent d’être confortées.
Principaux traitements de fond étudiés.
Cas particuliers
Migraine chronique
Il n’existe pas, à ce jour, de traitement recommandé spécifiquement pour la migraine chronique. La toxine botulique, avec un protocole d’injection très rigoureux, utilisée dans certains pays, a eu un refus d’AMM en France à deux reprises (Mathew & Jaffri, 2009). Actuellement, les anticorps anti-CGRP sont en fin de développement de phase 3 et en attente de commercialisation, les migraineux aux crises fréquentes devraient en bénéficier.
Migraine et hormones
La contraception orale comportant un œstrogène reste contre-indiquée chez la femme ayant une migraine avec aura, a fortiori associant d’autres facteurs de risque. Pour la migraine sans aura, il n’y a pas de contre-indication car pas de risque vasculaire cérébral augmenté, toutefois, des ajustements peuvent être proposés si une influence sur les crises est constatée (augmentation ou diminution de fréquence).
La migraine concerne majoritairement des femmes en âge de procréer et il faudra en tenir compte dans la prescription du traitement. C’est pour cette raison que le valproate de sodium n’est pas prescrit en France (traitement de fond validé dans d’autres pays). Au cours de la grossesse, la fréquence des crises tend à diminuer après le premier trimestre. Pour la crise, le paracétamol est privilégié, mais, en cas d’échec, le sumatriptan, quel que soit le terme, peut être prescrit. Les traitements de fond ne sont pas conseillés, cependant, s’ils devenaient nécessaires, les bêta-bloquants et l’amitriptyline seraient les traitements de choix (Jarvis et al., 2018).
Migraine avec aura
La migraine avec aura évolue souvent par crises en salves suivies d’une période d’accalmie. C’est pourquoi, si elle est isolée, elle ne nécessite pas toujours un traitement de fond prolongé. L’aspirine (500–1000 mg), quotidiennement durant 1 à 2 mois, permet de stopper les crises récurrentes. En cas d’échec, les antiépileptiques sont les traitements à privilégier (Lampl et al., 1999).
Conclusion
La migraine est une pathologie très fréquente, qui a connu des avancées scientifiques majeures ces dernières années. Son retentissement sur la vie personnelle, professionnelle, ainsi que sa charge économique ne sont plus à démontrer. Toutefois, elle reste trop souvent non considérée ou méconnue, alors que le diagnostic est aisé et qu’un grand nombre de traitements sont à disposition selon les recommandations de l’International Headache Society (IHS).
Références
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Citation de l’article : Roos, C. (2019). Migraine : données épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques. Biologie Aujourd’hui, 213, 35-41
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