Numéro |
Biologie Aujourd'hui
Volume 211, Numéro 2, 2017
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Page(s) | 165 - 168 | |
Section | Autour de Claude Bernard | |
DOI | https://doi.org/10.1051/jbio/2017018 | |
Publié en ligne | 13 décembre 2017 |
Article
Diabète : Quelles cibles et quels objectifs ?
Préserver et protéger une masse fonctionnelle de cellules bêta pancréatiques
Diabetes: What are the key targets and the objectives? Preserving and protecting a functional pancreatic beta cell mass
Institut de Génomique Fonctionnelle, Inserm U1191, UMR CNRS 5203, Université de Montpellier,
141 rue de la Cardonille,
34094
Montpellier, France
* Auteur correspondant : stephane.dalle@igf.cnrs.fr
Reçu :
28
Juin
2017
Le diabète est une affection du métabolisme caractérisée par un taux élevé de sucre dans le sang (hyperglycémie). Le diabète de type 2, qui représente 90 % des cas de diabète, résulte de la combinaison d'un défaut partiel de sécrétion d'insuline et d'un degré variable de résistance à l'insuline. Les cellules bêta pancréatiques sont les seules cellules de l'organisme capables de produire et de sécréter l'insuline, il est indispensable de maintenir leur fonction et leur nombre. L'hyperglycémie chronique est maintenant connue comme un élément déterminant de la réduction de la fonction des cellules bêta et de leur mort par apoptose. Réduire cette hyperglycémie se révèle comme un objectif majeur dans la prise en charge et le traitement du diabète de type 2, afin de ralentir non seulement le développement de complications micro- et macro-vasculaires, mais également d'atténuer ses effets délétères sur les cellules bêta pancréatiques.
Abstract
Diabetes is characterized by chronic hyperglycemia. Type 2 diabetes, which represents 90% of diabetes cases, is the consequence of an insulin resistance and pancreatic beta cell dysfunction combination. Since the beta cells are the only cells of the organism to synthesize and to secrete insulin, it is essential to maintain and to protect their function and survival. It is currently proposed that an ideal and innovative treatment of type 2 diabetes should be based on an approach targeting pancreatic beta-cell dysfunction and death. It is now well described that chronic hyperglycemia is critically involved in the development of beta-cell dysfunction and apoptotic death (Glucotoxicity). Reducing the chronic hyperglycemia is a key objective in the treatment of type 2 diabetes, to attenuate not only the development of micro and macrovascular complications, but also the deleterious effects exerted on the pancreatic beta cells.
Mots clés : diabète / cellules β pancréatiques / sécrétion d'insuline / stratégies thérapeutiques / glucotoxicité
Key words: diabetes / pancreatic β cell / insulin secretion / therapeutic strategies / glucotoxicity
© Société de Biologie, 2017
Introduction
Le diabète : une épidémie mondiale
En 2014, 8,3 % de la population mondiale étaient touchés par l'un des types de diabète, soit 387 millions de personnes, ce qui représente un individu sur douze. Ce chiffre pourrait atteindre 592 millions d'individus touchés d'ici à 2035. La Fédération internationale du diabète, qui a établi ces chiffres, estime que 4,9 millions de personnes sont mortes du diabète en 2014. La France est largement concernée par ce phénomène. L'expansion de cette pathologie en Asie et aux États-Unis justifie aujourd'hui la qualification d'épidémie.
Le diabète est une affection du métabolisme caractérisée par un taux élevé de sucre dans le sang (hyperglycémie). Environ 10 % des diabétiques sont touchés par un diabète de type 1, caractérisé par un défaut presque complet de sécrétion d'insuline. Les autres cas de diabète sont représentés dans la quasi-totalité par des diabètes de type 2 (90 % des cas) dont les causes sont plus complexes. Le diabète de type 2 résulte de la combinaison d'un défaut partiel de sécrétion d'insuline et d'un degré variable de résistance à l'insuline qui peut être largement déterminée et amplifiée par le poids corporel et la sédentarité.
Place et importance du pancréas endocrine et des cellules bêta pancréatiques
Les hormones qui régulent la glycémie, telles que l'insuline et le glucagon, sont produites et sécrétées par le pancréas endocrine. Le pancréas endocrine est constitué de petits amas cellulaires sphériques disséminés dans le pancréas exocrine, nommés îlots de Langerhans. Chez l'Homme, le pancréas endocrine est constitué d'environ un à deux millions d'îlots de Langerhans de tailles variables, allant de 50 à 400 μm de diamètre. Ils peuvent contenir de quelques dizaines à plus de 5000 cellules, et sont composés de trois principaux types cellulaires qui interagissent de façon très étroite : les cellules alpha (α), les cellules bêta (β) et les cellules delta (δ), qui produisent et sécrètent différentes hormones dans le sang. Les cellules alpha représentent environ 35 à 40 % des cellules de l'îlot de Langerhans et libèrent le glucagon, une hormone capable d'initier l'utilisation et la mise en réserve du glucose. Les cellules delta représentent environ 2 à 5 % des cellules insulaires. Elles libèrent la somatostatine, une hormone qui régule négativement les sécrétions d'insuline et de glucagon. Les cellules bêta composent la majeure partie des îlots (environ 50 à 55 % des cellules dans un îlot pancréatique humain). Comme les cellules bêta pancréatiques sont les seules cellules de l'organisme capables de produire et de sécréter l'insuline, il est indispensable de maintenir leur fonction et leur nombre afin d'atteindre et de maintenir l'équilibre de la glycémie.
Dualité des effets du glucose sur la fonction et la survie des cellules bêta pancréatiques
Le glucose est le nutriment le plus important pour la cellule bêta. Il exerce à la fois un effet déclencheur et un effet permissif sur la sécrétion d'insuline. La sécrétion d'insuline est biphasique, et présente deux phases de réponse au glucose. Une première phase précoce (ou pic précoce d'insuline) est suivie par l'augmentation progressive d'une libération d'insuline d'un niveau plus faible. Les agents amplificateurs ou potentialisateurs n'ont pas d'effets par eux-mêmes, mais amplifient l'effet des agents déclencheurs tels que le glucose. Les hormones produites et libérées par l'intestin à la suite du passage d'aliments, comme le GLP-1 (Glucagon Like Peptide-1) ou le GIP (Gastro Intestinal Peptide) sont, par exemple, de puissants amplificateurs de la sécrétion d'insuline déclenchée par le glucose. Ces hormones sont très importantes, car leur action sur la sécrétion d'insuline est strictement dépendante de l'augmentation de la glycémie. Ainsi, la sécrétion d'insuline est amplifiée/potentialisée par le GLP-1 quand le taux de glucose dans le sang est élevé, et s'abaisse quand ce taux revient à la normale. Au-delà de son effet insulinotrope, le GLP-1 exerce des effets protecteurs sur les cellules bêta pancréatiques, et favorise leur survie.
Par ailleurs, il est évident qu'une régulation satisfaisante de la glycémie ne peut être obtenue qu'avec une population de cellules bêta pancréatiques suffisante. L'équilibre entre la multiplication–prolifération des cellules bêta, la formation de nouvelles cellules et la mort cellulaire, notamment par apoptose, détermine le nombre, et donc la population, de ces cellules au sein des îlots de Langerhans. Ainsi, il est clairement établi que le nombre de cellules bêta chez l'adulte varie et s'adapte à la demande de l'organisme en insuline afin de garantir un contrôle optimal de la glycémie.
L'association d'une insulino-résistance non compensée par un déficit de la fonction des cellules bêta conduit à l'apparition d'une hyperglycémie chronique. Au cours du stade précoce du diabète de type 2, des anomalies de la sécrétion biphasique et pulsatile témoignent d'une rupture de la synchronisation sécrétoire des cellules bêta au sein des îlots pancréatiques. Chez la plupart des patients, le pic précoce de la sécrétion d'insuline en réponse au glucose est altéré et disparaît. Nous savons maintenant que l'hyperglycémie chronique alimente un cercle vicieux conduisant à une détérioration métabolique progressive qui, en retour, dégrade davantage la fonction et la masse des cellules bêta pancréatiques (notion de glucotoxicité), et renforce l'insulino-résistance.
En concentrations physiologiques normales, le glucose est un puissant stimulant de la libération d'insuline et favorise également la croissance et la survie des cellules bêta. Néanmoins, il est maintenant clairement établi que l'hyperglycémie chronique est un élément déterminant de la réduction de la fonction, mais aussi de la survie des cellules bêta au cours du diabète de type 2. L'étude UKPDS 16 (United Kingdom Prospective Diabetes Study) montre qu'à la découverte du diabète, la fonction pancréatique serait déjà diminuée de moitié. Par ailleurs, plusieurs études après autopsies rapportent une diminution de la masse cellulaire bêta chez les patients diabétiques de type 2. Préserver une masse fonctionnelle de cellules bêta chez les sujets diabétiques est essentiel. Bloquer les effets délétères de l'hyperglycémie chronique sur les cellules bêta se révèle donc être une stratégie fondamentale pour le traitement du diabète de type 2.
Voies de signalisation contrôlant la fonction et la survie des cellules bêta
L'objectif général de nos travaux menés au laboratoire « Physiopathologie des cellules bêta pancréatiques », au sein de l'Institut de Génomique Fonctionnelle de Montpellier, est la caractérisation des mécanismes moléculaires et cellulaires contrôlant la fonction et la survie des cellules bêta afin d'identifier de nouveaux concepts en médecine moléculaire, et de proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques afin de préserver et/ou de restaurer une masse fonctionnelle de cellules bêta pancréatiques chez les diabétiques.
Parmi les voies de signalisation les plus importantes pour la biologie des cellules bêta se trouve la voie AMPc/PKA, recrutée lors de l'activation de récepteurs couplés à des protéines G (RCPG), comme le récepteur GLP-1. Cette voie contrôle la dynamique de l'exocytose des granules d'insuline et participe au maintien de la différenciation des cellules bêta. D'autre part, les voies liées aux récepteurs à activité tyrosine kinase (RTK) − PI 3-kinase et ERK1/2 (Extracellular Regulated Kinase 1/2 ou p44/42 MAP kinases) – sont également essentielles pour la biologie des cellules bêta car elles modulent les capacités insulino-sécrétoires de ces cellules, la survie et le maintien in vivo de leur population au sein du pancréas endocrine. Nous avons montré, avec d'autres laboratoires, que les voies de signalisation AMPc/PKA, IRS/PI 3-kinase et ERK1/2 ne fonctionnent pas de manière isolée dans les cellules bêta mais qu'elles interagissent de manière coordonnée en fonction de leur organisation spatio-temporelle et contrôlent non seulement la synthèse et la sécrétion d'insuline, mais également la survie des cellules bêta pancréatiques (Dalle et al., 2004 ; Longuet et al., 2005 ; Costes et al., 2006 ; Annicotte et al., 2009 ; Broca et al., 2009 ; Quoyer et al., 2010 ; Ravier et al., 2014).
Destruction des cellules bêta pancréatiques par glucotoxicité et réactions inflammatoires
Bloquer les effets délétères de l'hyperglycémie chronique sur les cellules bêta se révèle être une stratégie fondamentale pour le traitement du diabète de type 2. Nous avons montré qu'une exposition chronique des cellules bêta à une hyperglycémie détruit le facteur de transcription CREB, essentiel pour le maintien d'une sécrétion d'insuline normale et de la survie cellulaire (Costes et al., 2009).
Par ailleurs, nous avons récemment découvert qu'une MAP3 kinase nommée Tpl2 est située au cœur du réseau de signalisation, médiant spécifiquement les effets délétères de l'inflammation sur la sécrétion d'insuline et la survie des cellules bêta. Nous sommes les premiers à montrer qu'au-delà des cytokines pro-inflammatoires, le glucose en concentrations élevées physiopathologiques est également capable d'activer la kinase Tpl2 favorisant − au moins – la mise en place d'un réseau de signalisation concerté avec les MAP kinases de stress p38 et JNK (Varin et al., 2016). De façon remarquable, l'inhibition pharmacologique in vitro de cette MAP3 kinase Tpl2 réduit l'activation des MAP kinases de stress délétères p38 et JNK induite par l'hyperglycémie, et protège les cellules bêta de la toxicité résultant d'une exposition chronique à l'hyperglycémie. In vivo, l'inhibition pharmacologique de la kinase Tpl2 chez des souris diabétiques db/db améliore la tolérance au glucose, réduit l'hyperglycémie, l'insulinémie et restaure une sensibilité à l'insuline. L'identification du rôle de la kinase Tpl2 dans les effets délétères de l'hyperglycémie chronique ouvre d'excellentes opportunités pour lancer de nouvelles études visant à tester la pertinence de l'inhibition de Tpl2 dans le traitement du diabète de type 2.
Conclusion et perspectives
Les causes primaires d'un défaut insulino-sécrétoire sont encore inconnues. Une meilleure compréhension de l'activation des voies de signalisation liées aux RCPG et RTK, et de leurs interactions mutuelles, dans les cellules bêta reste à ce jour indispensable. Elle représente un pré-requis incontournable à toute stratégie de développement d'outils et de solutions thérapeutiques innovantes qui viseraient à moduler la fonction insulino-sécrétoire et/ou la masse des cellules bêta pancréatiques, et à préserver la survie des cellules bêta pancréatiques.
L'hyperglycémie chronique, signature du diabète, est un élément déterminant de la réduction de la fonction des cellules bêta et de leur mort par apoptose. Réduire cette hyperglycémie s'avère donc un objectif majeur dans la prise en charge et le traitement du diabète de type 2, afin d'atténuer ses effets délétères sur les cellules bêta pancréatiques et la mise en place des complications micro- et macro-vasculaires. Ainsi, les stratégies thérapeutiques actuelles sont testées dans leur capacité à non seulement réduire l'hyperglycémie, mais également combattre ses effets délétères qui s'exercent plus particulièrement sur les cellules bêta pancréatiques. Dans ce sens, inactiver la kinase Tpl2 représenterait une nouvelle solution thérapeutique visant à protéger les cellules bêta des effets délétères de l'hyperglycémie chronique.
Références
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Citation de l'article : Dalle, S. (2017). Diabète : Quelles cibles et quels objectifs ? Biologie Aujourd'hui, 211, 163-166
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